Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/483

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La réapparition du vieux chancelier, patronné ouvertement par Dowlat-Rao-Sindyah et sa faction, causa d’abord un vif déplaisir à Badji-Rao. Le pouvoir suprême, qu’il exerçait seul à titre de peshwa, allait lui échapper. Nana-Farnéwiz comptait des partisans nombreux ; il n’y a rien de tel que le malheur pour rendre à ceux qui sont tombés une popularité plus grande que celle dont ils jouissaient avant leur chute. Cependant la position du chancelier était à la fois précaire et humiliante : quelle liberté d’action lui serait laissée entre Sindyah et Shirzie-Rao ? Il ne devait pas sa liberté à la générosité désintéressée de Dowlat-Rao, puisque le mahârâdja s’en était fait payer le prix à beaux deniers comptans. D’autre part, il ne pouvait oublier les excès commis contre ses parens et ses alliés par le féroce Shirzie-Rao. Dans la circonstance présente, en face des menaces de l’avenir, l’allié naturel de Nana-Farnéwiz était encore le peshwa. Celui-ci le comprit ; il renonça aux projets de ligue qui eussent fait de Sindyah un ennemi irréconciliable. Préférant donc la paix aux chances douteuses d’une guerre ouverte, — dont il se trouvait hors d’état de faire les premiers frais, — il feignit d’obtempérer aux ordres de Dowlat-Rao, en acceptant de partager le pouvoir avec son rival. En agissant ainsi, le chancelier avait en vue la ruine plus ou moins prochaine de celui qui croyait lui dicter ses volontés.

Redevenus amis pour la troisième fois, contraints par la force des choses à gouverner en commun et se détestant toujours cordialement, le peshwa et le chancelier ne tardèrent pas à s’entendre sur un point d’où dépendaient leur fortune et leur vie : ils résolurent de tout mettre en œuvre pour se débarrasser au plus vite du terrible Shirzie-Ghatgay. Nana-Farnéwiz, habile à parler et à persuader, et Badji-Rao, non moins fertile en argumens, remontrèrent au jeune mahârâdja les dangers que courait le pays et les périls auxquels il se trouvait exposé lui-même, si son beau-père continuait de s’abandonner aux violences d’un caractère indomptable. Celui-ci était véritablement un fou furieux, qui n’écoutait plus que ses instincts sanguinaires et les inspirations d’une cupidité féroce. Dans les provinces mahrattes et même dans l’armée du mahârâdja, son gendre, Shirzie-Rao torturait à son gré les brahmanes et les officiers les plus estimés[1]. Dowlat-Rao-Sindyah commençait à se lasser du

  1. Il lui arriva un jour de faire attacher à la bouche des canons trois officiers de l’armée de Dowlat-Rao. (Voyez History of the Mahrattas, by capt. Grant Duff. ) C’est donc cet homme de sang qui a inauguré dans l’Inde un genre de supplice que les Anglais emploient sur une grande échelle pour réprimer l’insurrection actuelle ! Il est affligeant qu’une nation civilisée ait cru devoir imiter en quoi que ce soit un monstre abhorré par les indigènes.