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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/513

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une démission collective du cabinet ; tout se terminait heureusement cependant par la retraite du ministre de la marine, qui a eu pour successeur un ami personnel du général O’Donnell, le général Macrohon. Ce n’est pas moins l’indice de ces antagonismes incessans qui peuvent s’agiter au sein du cabinet et de toutes les difficultés de cette conciliation des opinions et des hommes sur laquelle se fonde l’existence du gouvernement actuel de l’Espagne. Un travail permanent est nécessaire pour empêcher la dislocation. C’est ce que nous voulions dire en montrant le général O’Donnell obligé de lutter sans cesse pour défendre un terrain qui s’effondrerait évidemment à défaut d’une volonté énergique. Contre ce danger, le général O’Donnell est prémuni jusqu’à un certain point, il est vrai, par des considérations qui peuvent maintenir l’union de la majorité. Les modérés n’ont point trop d’intérêt à ébranler la situation du cabinet actuel, car le comte de Lucena, lors même qu’il le voudrait, ne peut s’éloigner de leurs doctrines essentielles : il ne le pourrait sans risquer de perdre la confiance de la reine, qui le soutient jusqu’ici. Et d’un autre côté, les progressistes, ralliés au ministère, ont moins d’intérêt encore à le rejeter dans l’opposition et à laisser le gouvernement sans appui. Mêlés aux affaires, ramenés par une fortune inespérée à quelques-unes des positions principales, ils savent bien que si le pouvoir tombait des mains du général O’Donnell, il n’irait pas vers aux. C’est ainsi qu’à côté de causes de faiblesse, il y a pour le cabinet des élémens de force relative et de durée.

Divisés par mille rivalités anciennes, décomposés et dissous, les partis espagnols ont du moins un bonheur : ils se trouvent toujours unis en certaines questions qui font vibrer le sentiment national, et cette union elle-même devient une force pour le gouvernement. C’est ce qui vient d’arriver à l’occasion d’une manifestation singulière et imprévue du président des États-Unis. L’île de Cuba, comme on sait, est la clé du golfe du Mexique ; elle commande jusqu’à un certain point l’entrée du Mississipi. Les Américains du Nord envient la belle possession espagnole, ils l’ont dit assez souvent ; jamais peut-être ils ne l’avaient dit plus nettement et plus officiellement qu’aujourd’hui par le dernier message présidentiel. C’est toujours après tout la politique des conférences d’Ostende ; M. Buchanan, il est vrai, y met un certain amendement : il repousse toute idée de violence et de conquête à main armée ; mais il pose publiquement le principe de l’achat à prix d’argent de l’île de Cuba, et il annonce qu’il va rouvrir des négociations avec le cabinet de Madrid pour arriver à cette fin si ardemment désirée. M. Buchanan ne tardera pas à savoir le singulier et violent effet de ses paroles à Madrid. Du sein des deux chambres est sortie une protestation unanime à laquelle se sont associés tous les partis, car pour la Péninsule ce n’est pas une question d’argent, c’est une question de dignité, d’honneur national ; mieux encore, cette île de Cuba est le dernier et précieux débris de ce grand et magnifique empire que les Espagnols ont conquis un jour, et qu’ils n’ont pas su conserver ; pour eux, il semble que livrer Cuba, ce serait le détacher de leur passé. C’est dans de telles questions qu’on retrouve encore ce fier et viril sentiment espagnol qui s’est si souvent obscurci et altéré dans les dissensions intérieures et les guerres civiles. e. forcade.