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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/605

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« N’en proclamer aucun, s’abstenir soigneusement de rien formuler, telle est au contraire une des causes de l’ascendant du radicalisme. Son précieux scepticisme lui permet d’aller où il veut, de ne traiter en ennemi que ce qui lui résiste, de se faire des armes de tout, comme aussi de prendre des alliés partout...

« Au moyen de quelques concessions, qui porteront d’abord sur le droit au travail et ses applications pratiques, sur la propriété, sur l’hérédité, sur les impôts ; au moyen de la démolition des institutions préexistantes, au moyen surtout de l’hostilité qui ne cessera de régner entre lui et la classe aisée et bourgeoise, un gouvernement radical, pour peu qu’il soit habile, se maintiendra favorable l’élément socialiste...

« Le socialisme est un auxiliaire, un pourvoyeur du radicalisme; il ne saurait devenir son rival. L’un n’est que le bras, l’autre sera toujours la tête. »


Ces prévisions, qui datent de 1849, se sont pleinement réalisées. On a multiplié les places, et de plus établi des ateliers nationaux. Les travaux publics offraient un moyen d’influence électorale dont le nouveau régime s’est habilement servi pour se créer des partisans. Une organisation très serrée tient le suffrage universel dans la dépendance de quelques hommes dévoués au chef, et quand cela ne suffit pas, on a recours à la menace, au tumulte, à la violence même, pour intimider le parti contraire. En 1849, et plusieurs fois depuis, les élections ont été troublées par des scènes déplorables. Quant au dédain des principes, les prévisions du publiciste anonyme sont encore dépassées. On suit une politique d’expédiens, qui n’a d’autre règle que l’intérêt du jour. Ce sera tantôt la liberté poussée jusqu’à la licence, tantôt des tendances tout opposées et non moins extrêmes. Le seul trait qu’on y retrouve infailliblement est une intention bien arrêtée d’étendre autant que possible l’action du pouvoir. On incline ainsi vers le socialisme juste assez pour s’assurer son appui, en ayant soin de ne lui faire de concessions qu’aux dépens des conservateurs. Les Épanchemens d’un homme d’état résument donc très fidèlement l’histoire des dix années qui viennent de s’écouler. Aussi resteront-ils comme le plus brillant spécimen de la polémique genevoise, dont au reste les productions même les plus médiocres décèlent une aptitude générale à discuter les questions législatives et administratives. On y voit combien l’éducation républicaine familiarise tous les citoyens avec les intérêts de la chose publique. Malheureusement elle ne réussit pas de même à les mettre en garde contre les dangereux appâts du sophisme, et le peuple genevois se montre plus que d’autres accessible à ce genre de séduction.

La guerre de plume eut pour résultat d’aigrir de plus en plus les esprits. Quelques scènes de violence, qui signalèrent les élections de 1849, vinrent démontrer que, sur le terrain de la poli-