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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/733

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et la confusion des langues. Ce n’est pas seulement la matière qui réclame ses droits, c’est chaque partie de la matière; chaque organe vient à son tour présenter ses titres de noblesse et dire au despotique cerveau : De quel droit te prétends-tu souverain? Il semble qu’on assiste à la carmagnole effrénée d’un sans-culottisme physiologique inconnu jusqu’à ce jour. Le cervelet, le foie, la rate, les poumons et le cœur, accompagnés de la plèbe des organes que nous ne nommerons pas ici, dansent autour de sa majesté le cerveau en chantant un féroce ça ira! Ils accablent leur monarque d’humiliations et d’injures, et lui reprochent dans les termes les moins voilés la servitude où il les tient. Puis, après cette manifestation révolutionnaire, ils s’en vont célébrer les fêtes de la communion du moi avec le non-moi par la sainte assimilation et la sainte excrétion. Vous plairait-il d’écouter un de leurs cantiques : « Ne soyons donc pas si petites-maîtresses, nous, enfans du Dieu universel! nous frères de notre non-moi qui nous nourrit et que nous nourrissons! Est-ce que le saint lait de nos mères, est-ce que... sacré de nos pères ne sont pas aussi du fumier? Adorez, adorez, lier Sicambre : votre Dieu est dans cette hostie. Ecce corpus Domini. Oui, la terre chante o salutaris hostia ! quand elle germe, végète et se couvre de verdure sous l’influence fécondante du fumier dont la nourrissent tous les êtres organisés, depuis l’homme jusqu’à la plante. » Ce sont là les mouvemens d’enthousiasme de M. Enfantin, mais il est tout aussi curieux à contempler dans ses momens de tranquillité. Après ces véhémentes oraisons jaculatoires, il entre dans un état de recueillement tout à fait grotesque. « Je reviens maintenant avec plus de calme, avec sérénité religieuse, au tube élémentaire et alimentaire... Mon cher docteur, nous parlons physiologie, nous en parlons religieusement, nous pouvons donc aborder saintement la digestion, la transpiration, les sécrétions et les excrétions, et nous occuper avec un égal respect des deux extrémités du tube élémentaire, sur lequel et autour duquel l’homme tout entier a été divinement organisé. » Je bornerai là ces citations, que le lecteur, je le crains, trouvera déjà trop abondantes, quoique toutes ces belles choses soient au fond beaucoup plus puériles que scandaleuses. Je conseille à M. Enfantin de soigner sa phraséologie, car elle rendrait ridicule la vérité elle-même. A quel propos applique-t-il l’épithète de saintes aux fonctions de la nature? de quel droit rend-il emphatique cette bonne ménagère pratique et cette savante chimiste, la nature? Les fonctions de la nature ne sont pas plus saintes qu’elles ne sont impies, pas plus nobles qu’elles ne sont ignobles; elles sont naturelles, c’est-à-dire fatales et nécessaires. Voilà les véritables épithètes qui leur conviennent. L’homme les trouve souvent répugnantes, et quelquefois