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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/752

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se laisser toucher, et bien s’assurer qu’on ne le trompe pas sur les causes du plaisir qu’il éprouve. De ces deux caractères de nation sont nées deux grandes écoles de musique, l’école allemande et l’école italienne, les seules qui existent et entre lesquelles s’interpose le génie timoré de la France, qui n’invente guère, mais qui s’assimile avec mesure les propriétés moyennes des autres peuples, en les combinant, en les tempérant de son goût suprême.

Il résulte de ces considérations qu’il existe positivement une musique nationale depuis le commencement du XVIIIe siècle, que la musique produite par les grands génies de l’école allemande ne ressemble pas à celle qui a été créée par les maîtres de l’école italienne, qu’aucun de ces peuples n’a le droit d’imposer à l’autre sa manière de sentir, et de se croire le seul possesseur de la vraie et bonne musique. Si vous préférez le pittoresque de l’instrumentation, les combinaisons profondes de l’harmonie, les grands développemens d’un thème donné, les effets puissans, le grandiose de la symphonie et de la poésie lyrique, vous êtes un partisan de l’école allemande, qui n’a point de rivale dans ce vaste empire de l’idéal qu’elle s’est créé. Êtes-vous, au contraire, plus accessible aux charmes de la voix humaine, à sa flexibilité, à l’expression d’un sentiment aimable, aux délicatesses, aux voluptés sereines, aux concetti même, si vous voulez, d’un madrigal, d’un duo, ou d’un morceau d’ensemble plus compliqué ; aimez-vous à rire et à pleurer du fond de l’âme, sans trop vous inquiéter du pourquoi ; la douleur, la grâce, le caprice, le brio, la verve et l’insouciante folie, exprimés en musique d’une manière incomparable et inimitable, ont-ils pour vous de l’attrait : vous êtes un admirateur de la musique et de l’opéra italiens, qui règnent en Europe et dans le monde entier depuis cent cinquante ans. À ces deux grandes écoles vient s’ajouter l’école française, qui emprunte à l’Italie son opéra sérieux et son opéra-comique, les deux seuls genres de musique qu’elle connaisse, en les soumettant à la loi de la vraisemblance et de la logique dramatique. Ainsi se développent dans l’histoire ces trois manifestations du génie musical, qui sont l’expression de deux races bien différentes, de trois tendances diverses de l’esprit humain. La France, nation latine comme les peuples italiens, puisqu’ils parlent deux langues qui sont filles de la même mère, est plus disposée à s’approprier les qualités de la musique italienne que celles de l’école allemande. L’histoire de ses deux théâtres, celle de l’opéra et de l’opéra-comique, est là pour confirmer cette étroite parenté de l’école française avec l’école italienne, qui seule est vraiment créatrice du fonds d’idées qui constitue l’art musical des peuples de l’Occident.

La variété des génies, les talens divers qui se produisent dans chacune des grandes divisions dont nous venons de parler, les emprunts successifs que se font les écoles entre elles, tout en restant fidèles aux tendances de la race dont elles représentent les propriétés indélébiles, enfin le besoin de changement, qui est une loi de la vie non moins constante que la perpétuité de nos sentimens et de nos passions : tout cela, et d’autres causes encore, modifient incessamment les formes de la musique, particulièrement de la musique dramatique, sans en altérer l’essence ni la vérité. Comme les langues, la musique, qui est la langue universelle du sentiment et de l’imagination, grandit, se développe, atteint la maturité et la perfection de se