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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/914

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l’attrait de la mer, où l’on vit pour ainsi dire dans la familiarité du lointain, il serait possible d’expliquer jusqu’à un certain point qu’elle eût subi l’influence d’une sorte de contagion vagabonde; mais elle habitait Vienne, et ce n’est certainement pas au Danube ni aux pyroscaphes du Lloyd qu’il conviendrait d’attribuer une si forte puissance de séduction sur l’esprit d’une femme que tant de liens rattachaient au logis. Enfin est-ce l’ambition de la renommée, l’espérance de recueillir les hommages des académies et de figurer parmi les membres honoraires de quelques sociétés savantes qui s’est emparé de Mme Pfeiffer tout d’un coup, au déclin de l’âge, quand le temps des fatigues et des périls est passé, quand d’ordinaire on se félicite d’avoir pu traverser la période aventureuse, les phases critiques de la vie? Dans ce cas, elle aurait pleinement réussi, car elle a, même parmi les sauvages, acquis une célébrité incontestable; elle a été honorée et fêtée par les savans les plus illustres; les sociétés de géographie, de zoologie, de géologie, etc., se sont parées de son nom. Cependant il suffisait de la voir et de l’entendre lorsqu’elle vivait, il suffit de lire ses relations, aujourd’hui qu’elle n’est plus, pour être convaincu qu’elle ne se laissait point enlever par un sentiment de vanité, qu’elle était simple, modeste, curieuse sans doute, mais d’une curiosité respectable et de bon aloi, enfin que les lauriers du capitaine Cook ne troublaient point les approches de sa vieillesse. D’où lui venait donc ce perpétuel besoin de locomotion? Vainement nous cherchons les motifs particuliers de ses voyages. Nous avons beau interroger sa vie pour découvrir l’influence secrète qui l’a lancée sur les grandes routes, nous ne trouvons rien. Voyager était chez elle un désir inné, une passion naturelle, un instinct, une vocation. Elle a voulu s’instruire elle-même en explorant des pays peu connus, sans avoir d’autre idée que la satisfaction d’un goût personnel dont elle semble ne pas se rendre bien compte, qu’elle n’analyse pas, qu’elle ne songe ni à expliquer ni à excuser, mais qui est invincible : vocation d’autant plus ardente, qu’elle avait été plus longtemps contenue! Restée veuve avec deux enfans, Mme Pfeiffer accomplit jusqu’au bout ses devoirs de mère; elle ne se jugea libre qu’après avoir élevé et établi sa jeune famille. Alors seulement elle prit ses vacances et lâcha la bride à ses rêves. Elle avait mis plus de quarante ans à se préparer pour le voyage, à faire ses malles et à attendre l’heure tant souhaitée du départ. Avec un tel élan, elle devait aller loin !

Elle alla en effet, et par deux fois, aux extrémités du monde. Il serait plus facile d’indiquer les régions où elle n’a point posé le pied que d’énumérer les contrées qu’elle a visitées. Le récit de ses voyages est à lui seul un cours presque complet de géographie: il ajoute