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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/924

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homme par homme pour ainsi dire et mystérieusement. Les Chinois ont dû esquiver les lois pour sortir de leur pays, et, loin d’être accueillis avec empressement dans les contrées où ils cherchent à s’établir, ils ont à vaincre la répulsion instinctive que leur venue inspire aux indigènes, assurés de trouver en eux des concurrens plus habiles et bientôt des maîtres; mais aujourd’hui que, suivant l’expression consacrée, la Chine est ouverte, le flot d’émigration, si longtemps contenu par les barrières légales, va se répandre librement dans les archipels asiatiques, et il est permis de prédire qu’avant la fin du siècle la population chinoise dominera à Bornéo. Dans ce travail de peuplement et de colonisation, la race européenne ne saurait lutter avec la race jaune. La première sera toujours repoussée par le climat. Et cependant, pour être juste, on doit reconnaître dès à présent que l’honneur de cette future conquête revient au génie européen, qui, en forçant les portes du Céleste-Empire et en ouvrant une issue à la population exubérante de l’extrême Asie, aura détourné ce trop-plein vers les régions demeurées jusqu’ici désertes ou mal explorées, et rétabli dans cette partie du monde le juste niveau. A l’époque où Mme Pfeiffer voyageait à Bornéo, elle ne pouvait encore apercevoir cette solution, bien que gon esprit observateur l’eût vaguement pressentie; la dernière guerre de Chine et les traités récemment conclus ont tout à fait déchiré le voile et éclairé l’avenir de la Malaisie, où la race chinoise est appelée à jouer le rôle civilisateur que la Providence a réservé, dans la direction de l’ouest, à la race européenne.

Si la Hollande n’a fait jusqu’ici que poser le pied à Bornéo, elle s’est occupée plus sérieusement de Sumatra. Cette dernière île touche presque à Java, qui est le point central de ses possessions dans l’Inde; elle est très fertile, elle produit en abondance du café, du poivre, du camphre, et le climat, dans certaines régions, peut convenir aux colons européens. Ceux-ci pourtant sont encore très peu nombreux, et la population blanche ne se compose guère que d’officiers et de fonctionnaires. La domination hollandaise est solidement établie sur une grande étendue de l’île; les Malais, après s’être bien défendus et fréquemment révoltés, semblent avoir renoncé depuis plusieurs années à une lutte inégale. Toutefois il reste encore à l’intérieur plusieurs tribus qui vivent dans la plus complète indépendance et conservent le type de la sauvagerie primitive. Une excursion parmi ces tribus devait tenter l’esprit aventureux de Mme Pfeiffer, qui, après sa visite à Bornéo, était venue se reposer quelque temps à Batavia. Une grave difficulté pouvait seule compromettre son plan de campagne, c’était la question d’argent. Mme Pfeiffer n’avait emporté d’Autriche qu’un mince bagage et une bourse très légère, et pour