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Allemagne, et qu’anime une pensée sérieuse de régénération et d’union. Ce mouvement politique, dont la manifestation de Wiesbaden a été il y a deux mois le symbole, et qui avant peu produira des résultats dignes d’attention, se distingue par ce même esprit de modération et de fermeté pratique qui se révèle avec tant d’éclat au sein de l’Italie centrale. Décidément l’Europe libérale, tout entière semble vouloir, reprendre, cette tradition politique qu’ont interrompue les malheurs de la dernière révolution, et l’esprit de 1859 s’apprête partout à réparer les fautes de 1848. e. forcade.



REVUE LITTÉRAIRE.

À considérer dans l’ordre où elles se présentent la plupart des œuvres récentes, il est rare d’y trouver un ensemble qui offre quelque unité ; il est difficile de leur appliquer un jugement commun. Le nombre n’en est point assez grand pour qu’il soit possible de les séparer par groupes, et le plus souvent elles n’ont entre elles d’autre lien que celui de la date. Le mouvement des idées morales retentit nécessairement dans le monde de l’imagination : on ne se réunit plus pour défendre un drapeau commun, on marche séparément vers un certain but. Les écoles et les tendances collectives ont fait place aux efforts individuels : faut-il se plaindre de cet amour de la liberté, qui n’est ici qu’un effet particulier d’un besoin plus général ? Il faut maintenant chercher l’intérêt des œuvres poétiques dans une pensée tout intime, toute personnelle, qui, réellement sentie, va d’elle-même droit aux expressions les plus rigoureuses, à la forme la plus simple. L’influence toujours grandissante d’Alfred de Musset n’a pas médiocrement contribué à cet heureux résultat, tandis qu’autrefois la poésie, cultivée froidement, aboutissait, malgré ses hautes prétentions, à n’être qu’un côté musical de l’art de bien dire. Les Impressions et Visions[1] de M. Henri Cantel peuvent être accueillies comme un essai de transition assez heureux entre les deux manières. L’émotion individuelle y est visible et sincère, l’influence du souvenir réelle, la forme y devient plus simple et plus nette tout en se maintenant dans les hauteurs abstraites que s’est réservées la poésie. Cependant il y reste encore des traces nombreuses de pure amplification. Beaucoup de pièces ne sont que le cadre d’une pensée, d’un mot, d’une antithèse finale ; Il faut souhaiter que les poètes abandonnent ces thèmes communs qui frisent la banalité, et qui ressemblent fort à de nobles joutes où l’avantage reste en définitive aux images précieuses et aux expressions raffinées. Aussi bien là n’est pas le mérite du livre de M. Cantel ; l’auteur étudie l’homme, et cette étude donne aux Impressions et Visions leur véritable valeur : tel motif est banal, et l’élégance du langage le soutient à peine ; mais il est sauvé tout à coup par une comparaison ingénieuse avec un des mille sentimens du cœur humain. L’ouvrage est en général composé sur un ton mélancolique, mais qui n’est ni fade ni alanguissant. Ce n’est plus le désespoir à froid des jeunes poètes incompris, c’est le regard jeté en arrière par l’homme qui a déjà vécu

  1. 1 vol. in-12 ; Poulet-Malassis et de Broise.