Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sprats, qu’elles disent être un présent du ciel envoyé aux pauvres gens. Vers 1850, les marchands des rues étaient presque tous chartistes ; mais ce que j’ai pu découvrir de plus distinct dans leurs opinions politiques du moment, c’est la haine des règlemens administratifs qui les concernent. Pour eux, le gouvernement se personnifie dans le policeman et le lord-maire de Londres.

Les itinérant costermongers suivent dans leurs courses à travers la ville un cercle tracé dont ils ne s’écartent guère. En général, ils recherchent les allées noires et les quartiers pauvres : c’est là qu’ils font le plus d’affaires. Ils accomplissent, outre leurs tournées régulières, des rondes de hasard qui consistent à visiter les quartiers de la ville en dehors de leur circonscription, mais où ils espèrent trouver des chalands (customers). Enfin la plupart d’entre eux éprouvent de temps en temps le besoin de changer d’air ; ils s’aventurent alors dans les campagnes. Ces excursions [country-rounds) durent quelquefois des semaines et des mois entiers. On en a vu qui faisaient jusqu’à cent milles en s’éloignant de Londres. Comme toutes les classes errantes, les costermongers tiennent à la vie amère, pénible, laborieuse, qu’ils mènent, et cela par des attaches qu’il est impossible de briser. Il y a quelques années, un homme de lettres, frappé des luttes héroïques auxquelles se livrait chaque jour une jeune marchande des rues dans la ville de Londres pour nourrir sa mère, prit cette fille chez lui comme servante. La transition fut pénible pour l’oiseau hier libre, aujourd’hui en cage. Comme toute jeune elle avait marché nu-pieds par les rues, la chaussure était un tourment pour cette pauvre créature. Le soir, quand elle avait fini son service, elle demandait à prendre quelque récréation, — cela voulait dire « ôter ses souliers. » Les bons soins, les avantages d’une vie comfortable, la réconcilièrent pour quelque temps avec la captivité ; mais un jour elle entendit dire que les sprats étaient revenus dans le marché : à cette nouvelle, son cœur bondit. Comme s’il y avait dans ce poisson une influence magique, un talisman, elle demanda à ses maîtres, en les remerciant, la permission de retourner dans la rue.

Les profits des costermongers sont d’ordinaire assez minces et soumis à des chances désastreuses. Les marchandes de cresson, d’oranges, d’oignons, de pommes et de poisson frit, qui généralement portent leurs denrées dans une corbeille, gagnent en moyenne de 2 à 3 pence par jour. Les vendeuses de plantes jardinières, de fleurs, de fruits et de poisson frais récoltent environ 10 pence de bénéfices. Encore faut-il déduire de ce faible gain, dans plus d’un cas, les pertes résultant de la marchandise qui se gâte. Il y a pourtant des street-dealers qui s’élèvent au-dessus de la misère à force