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Revenons une dernière fois à nos bachi-bozouks. Les officiers de cavalerie qui avaient fait partie de la formation de ces spahis d’Orient furent tous dirigés sur les corps de cavalerie qui se trouvaient à Aidos et à Bourgas avant le départ de l’expédition de Crimée. Le contingent des bachi-bozouks, qui présentait un effectif de quatre mille cavaliers dans le principe, fut licencié au chiffre de seize cent vingt-sept hommes. Le1er septembre 1854, la petite colonne d’officiers dont on m’avait donné le commandement se mit en route pour sa destination. Partout sur notre passage, les habitans faisaient entendre des cris d’indignation contre les étranges soldats que nous avions commandés. Les plus horribles récits arrivaient à nos oreilles. Dans un petit village, par exemple, ils avaient coupé en morceaux un enfant de cinq mois : je tiens l’histoire des parens eux-mêmes. Jugez du reste.

Arrivés à destination, les officiers furent versés en subsistance (c’est le terme technique) dans les régimens de dragons, cuirassiers et chasseurs d’Afrique qui se trouvaient à Aidos et à Bourgas. Je fus ainsi versé au 1er régiment de chasseurs d’Afrique, et je dus à cette circonstance l’honneur de faire la campagne de Crimée avec ce magnifique régiment... Ainsi finirent, à peine nés, les spahis d’Orient ou bachi-bozouks. Cette formation, si vantée à l’origine, n’a pas été sans entraîner d’assez lourdes charges. Un intendant de l’armée, que j’eus l’honneur de voir à Varna, me montrait un jour la comptabilité des bachi-bozouks étalée sur sa table. — Tenez, voilà votre ouvrage, disait-il; c’est 400,000 francs que vous nous coûtez. C’est à n’y rien comprendre, il faut payer de confiance. Je n’attaque point l’honneur de vos officiers, vous êtes tous pauvres comme Job : nous allons jeter tout cela au feu. Comment voulez-vous que la cour des comptes s’y reconnaisse? — L’intendant avait probablement raison; mais laissons de côté la question financière pour examiner quelles données utiles la France peut tirer, à titre de compensation, d’une si coûteuse expérience.

Il ne faut pas oublier que l’homme chargé de l’organisation des bachi-bozouks était plus capable qu’aucun autre de réussir : c’est ce que prouve la part qu’il a prise à la formation des spahis d’Afrique. Il y a certes là de quoi le consoler de n’avoir pas été plus heureux dans la création des spahis d’Orient. Comment expliquer le succès d’une part, l’échec de l’autre? Par un principe déjà indiqué : c’est qu’on n’obtient une bonne cavalerie irrégulière qu’à la condition de tenir sévèrement compte de son origine. Quant à l’utilité d’une pareille force, elle est incontestable, puisque tous les terrains ne conviennent pas à la cavalerie régulière, et que l’autre, sans bagages, sans nécessité de retour au bivouac quitté le matin, peut partout