Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/1002

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Europe, les occasions d’agir à coup sûr ne nous manqueraient pas. L’état de l’Europe n’ouvre qu’un trop vaste champ aux combinaisons nouvelles. Que de choses dans notre plus prochain voisinage sont mal disposées et fragiles) Sans parler de l’Italie encore incandescente, et qui commence un travail incertain de fusion et de recomposition, n’y a-t-il pas à nos portes une Allemagne, bizarrement découpée en petits états, dont la constitution artificielle se prête à ces remaniemens de territoires et de peuples auxquels s’exerçaient avec tant d’entraînement les grands hommes d’état et les grands hommes de guerre de l’ancienne politique ? N’y a-t-il pas enfin l’Orient et l’empire agonisant des Turcs, offrant comme une mine de compensations territoriales aux réformateurs de la carte de l’Europe ? Sans doute, si la France voulait recommencer un de ces grands romans guerriers qu’elle a plus d’une fois exécutés dans son histoire, elle pourrait longtemps encore remuer victorieusement et tailler l’Europe à sa fantaisie ; mais nous connaissons aussi par notre histoire la fortune inévitable de ces entreprises. C’est le sort de la France, quand elle se livre à ces accès d’activité politique et militaire au dehors, d’inspirer des jalousies universelles, de réunir contre elle toutes les forces de l’Europe et de préparer, par la grandeur et la durée de ses triomphes, la grandeur et la soudaineté de ses revers. Notre siècle nous a enseigné en outre des vérités politiques et sociales : nous avons appris que les droits, l’autonomie, la liberté des peuples ne sont point impunément violés par les caprices oppresseurs d’une autre nation, cette nation fut-elle la nôtre ; nous avons appris que les aventures guerrières où un peuple dépense l’exubérance de sa force ne constituent point sa grandeur, mais au contraire l’épuisent, que les vraies sources de la puissance sont dans la bonne organisation politique intérieure, dans la richesse, dans le travail, dans ces conditions d’existence qui ne se fortifient et ne prospèrent que par la paix. Ces enseignemens crient à la France actuelle que la puissance qu’elle vient de montrer, et dont elle est à bon droit si fière, est la conséquence et le fruit des institutions généreuses et de la paix féconde dont elle a joui pendant quarante ans, et qu’elle en détruirait inévitablement les causes, si elle en prodiguait les effets dans des entreprises extérieures.

C’est donc pour la France, ou plutôt pour son gouvernement, qui a pris sur lui la responsabilité et le pouvoir de la lancer dans l’une ou l’autre voie, le moment de choisir entre les deux systèmes. Nous avons espéré, au commencement de cette année, que le gouvernement avait fait son choix, et avait pris le bon parti de ramener le pays aux travaux féconds de la vie intérieure. La lettre impériale que l’on a nommée le programme de la paix n’avait pas d’autre sens, et annonçait apparemment cette intention. Trois mois se sont pourtant écoulés, et malgré la grandeur de la tâche pacifique assignée au pays par ce programme, malgré l’action presque révolutionnaire que la nouvelle politique semblait appelée à exercer sur les intérêts, malgré