Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Près de voir son pays envahi de nouveau par la France, Charles-Emmanuel était fort disposé cette fois à écouter les conseils de Mazarin. Il avait apprécié sa sagacité dans les événemens de 1628 et de 1629, et il embrassa volontiers l’idée d’un armistice proposé par la légation pontificale, parce que cet armistice, sans faire obstacle à aucune des chances qu’il se réservait dans l’avenir, le délivrait du danger présent, l’irruption des Français dans ses états : mais il s’agissait de faire accepter une suspension d’armes à Richelieu, qui avait l’épée à la main et se préparait à reprendre le chemin de Suze. L’entreprise n’était pas aisée, et elle était si importante que Pancirole voulut s’en charger lui-même. Le duc de Savoie, convaincu que Mazarin seul pouvait faire quelque impression sur l’ardent et opiniâtre cardinal, représenta au nonce qu’un voyage en France au milieu de l’hiver ne convenait ni à son âge ni à sa dignité, qu’il fallait aller très vite, et qu’une telle course demandait la force et l’agilité de la jeunesse. Pancirole agréa ces motifs[1], et Mazarin se précipita sur la route de Lyon. C’est là que pour la première fois il approcha de Richelieu. Il avait pu le voir en 1629 à Suze, mais il ne lui avait jamais parlé. Il eut avec lui à Lyon une conférence de trois heures. Animé par la grandeur des intérêts qui lui étaient confiés et par l’envie de plaire à un pareil interlocuteur, il déploya tant d’esprit et aussi tant d’agrément, et montra une si parfaite connaissance des affaires d’Italie, que le cardinal en fut très frappé, et qu’en sortant de cette conférence, il fit devant toute la cour l’éloge de Mazarin. Depuis, les historiens[2] se sont peut-être complu à exagérer cet éloge ; mais il faut bien que le cardinal ait été très satisfait de Mazarin, puisqu’il nous dit dans ses mémoires que celui-ci « le fut des serviteurs du roi, » et il ajoute que lui-même écrivit sur-le-champ et adressa au roi Louis XIII une relation

  1. Benedetti, p. 23, et Brusoni, Supplemento all’ Istoria d’Italia, p. 155.
  2. Benedetti, p. 23 : « Fù questa la prima volta che il cardinal Richelieu conobbe di presenza il Mazzarini ; e ne restò talmente rapito che fece quel grand’eroe publiche esagerationi di stima delle qualità peregrine che haveva ravvisate in questo soggetto, che nel poco tempo del suo soggiorno in Lione s’introdusse considerabilmente nella buona grazia del, cardinale. » Brusoni, Supplemento, etc., p. 155 : « Questo primo congresso di Mazzarini con Riscegliù fù il primo grado che fece all’ acquisto della sua grazia. Poiché dopo d’averlo tenuto per tre hore continue a stretta conferenza, disse a’grandi della corte di non avere ancora trovato huomo alcuno, che nel primo incontro svegliasse pià di lui concetti del proprio valore nella sua mente, ne che favellasse con tanto vantaggio e riputazionc delle cose del suo padrone, o si mostrasse meglio instrutto degli affari di stato, o di quelli d’Italia in particolare. » Aubery, Histoire du Cardinal Mazarin, liv. Ier, p. 21 : « Aussi ne sçauroit-on concevoir l’estime et l’amitié que conserva toujours pour lui le cardinal de Richelieu. Et il ne put ou plutôt il ne voulut le dissimuler ni s’en taire à l’heure même. Au sortir de leur conférence, qui dura plus de trois heures, il avoua aux maréchaux de Bassompierre et de Créquy, et à d’autres personnes de qualité, qu’il n’avoit point rencontré jusque-là de plus beau génie, ni personne qui fût entré plus heureusement dans les négociations et dans les affaires. » Longuerue va plus loin et fait dire à Richelieu « qu’il venoit d’entretenir le plus grand homme d’état qu’il eût jamais vu. » Tout cela ressemble bien à des propos inventés, après coup.