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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/140

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de quelques-uns qu’une étude superficielle de beaucoup. Hamilton à vingt ans, non content de s’engager à répondre sur tous les classiques éminens de l’histoire, de la poésie et de l’éloquence, n’exclut du concours pour la partie scientifique aucun des monumens de la philosophie grecque et latine. Au lieu de prendre, selon l’usage, deux ou trois des ouvrages les plus connus d’Aristote et un ou deux dialogues de Platon, il prit tout Platon et tout Aristote, celui-ci avec ses premiers commentateurs, ainsi que les chefs du néo-platonisme, Plotin et Proclus, en y ajoutant tout ce que Diogène de Laërce et Stobée nous ont conservé de l’antiquité philosophique. Une telle prétention mit naturellement les examinateurs en défiance ; ils portèrent dans leur examen une attention particulière, et virent bientôt avec étonnement le confiant candidat soutenir sans chanceler un fardeau au moins quatre fois plus lourd que la charge imposée à ses compagnons d’études. Il eut à répondre sur la philosophie deux jours durant, chaque jour pendant six heures, et ne se montra que trop bien préparé à remplir toutes ses promesses, car lorsqu’il fut question du plus redoutable des écrits d’Aristote, la Métaphysique, ses juges demandèrent grâce et déclinèrent l’honneur de l’interroger et même de l’entendre. Ce fut donc une épreuve universitaire sans exemple, et qu’on n’a point répétée. Elle eut pour témoins des condisciples de Hamilton dont on cite les lettres, et qui y ont consigné leur surprise, et leur admiration. Ils ne cachent pas que le candidat fut plus d’une fois obligé de s’arrêter devant l’incompétence de ses juges, et il avait lui-même gardé de cette expérience une médiocre idée du savoir philosophique de la docte université. Il s’en est montré le juge aussi sévère, quoique autrement sévère, que Locke, et peut-être faisait-il allusion à quelque souvenir personnel, lorsqu’il a écrit que de son temps un aspirant aux grades qui se serait pénétré à fond de la Logique d’Aristote aurait trouvé aussi peu d’appui chez son tuteur[1] que de faveur auprès des maîtres chargés de dispenser les honneurs académiques. Au reste, du temps même des écoles scolastiques, certains maîtres des universités étaient soupçonnés de répéter tout bas l’addition que saint Ambroise passait pour avoir faite aux litanies : « De la dialectique d’Aristote délivrez-nous, Seigneur ! »

C’est donc à Oxford même que Hamilton avait posé les fondemens de cette érudition philosophique dont il a donné tant de preuves, et c’était déjà le témoignage d’une véritable originalité d’esprit. Rien assurément en 1812, année où il quittait l’université, ne l’avait obligé ou encouragé que lui-même à parcourir toute l’histoire

  1. Le tuteur est le répétiteur ou précepteur particulier d’un élève de l’université.