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Parthénon, les statues de Phidias, les tragédies de Sophocle, les dialogues de Platon, les Géorgiques ou l’Énéide de Virgile, les Madones de Raphaël, le Moïse de Michel-Ange, les messes de Palestrina, les opéras de Gluck, les vastes conceptions musicales de Sébastien Bach !… Par ces idées bizarres, que nous croyons inutile de réfuter sérieusement, par une certaine verve de polémique qu’on remarque dans ses écrits, par le choix des sujets qu’il a mis en musique et qui sont tous empruntés au monde légendaire de la vieille Germanie, enfin par les qualités réelles de son talent et le puissant coloris de son instrumentation, M. Wagner a réussi à passionner un certain nombre de ses compatriotes. Ses ouvrages, mais plus particulièrement le Tannhauser, ont été représentés à Dresde, à Berlin, à Munich, à Vienne, et dans plusieurs autres villes de l’Allemagne avec plus ou moins de succès, mais sans avoir jamais pu atteindre à une véritable popularité. Quelques femmes à imagination exaltée, que le malheur attire toujours, et qui rêvasseraient jusqu’au bord d’un précipice en y tombant la tête la première, des esprits faux comme M. Liszt, des hommes politiques coreligionnaires de l’auteur du Tannhauser et du Lohengrin, des littérateurs, des quasi-poètes complètement étrangers à l’art musical, ont fait à M. Wagner, qui est un habile homme, une réputation de sectaire et de prétendant au génie, que la nation allemande n’a pas sanctionnée. Esprit inquiet, mécontent, contempteur de toutes choses, simulant le dédain de la popularité, mais au fond très désireux d’obtenir les faveurs de l’opinion publique, M. Wagner a été privé par la nature des deux qualités les plus nécessaires à un compositeur dramatique : l’imagination et le sentiment. L’auteur du Lohengrin et du Tannhauser ne conçoit bien que les scènes d’apparat qui exigent des couleurs éclatantes et heurtées, il ne dispose que de deux élémens de l’art musical : le rhythme et l’harmonie. Son instrumentation, puissante dans les effets grandioses, manque de variété et de souplesse. Son orchestre, divisé presque constamment en deux parties extrêmes, les instrumens à cordes mis en opposition directe avec les instrumens de cuivre, n’a pas de corps, de discours continu, qui remplisse l’oreille de cette pâte sonore que savent si bien pétrir les grands coloristes comme Beethoven, Weber, et parfois Mendelssohn. Harmoniste très habile, M. Wagner brille peu cependant par l’éclat et la nouveauté des modulations. Son style est monotone malgré les efforts d’une volonté vigoureuse et les ressources d’un talent incontestable. Il vise bien à la couleur, au relief, à l’étrangeté, qu’il prend pour de la profondeur ; mais on s’aperçoit vite que les effets qu’il cherche et qu’il rencontre sont plutôt le résultat de la curiosité de l’oreille que l’expression d’un sentiment de l’âme. Comme tous les poètes matérialistes de notre temps, M. Wagner procède de la sensation extérieure et non pas de l’émotion intérieure, il cherche et combine froidement un effet avant de posséder l’idée ou d’avoir éprouvé le sentiment qu’il veut manifester ; mais le cœur humain ne s’y trompe pas, et il ne s’émeut qu’à bon escient.