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également au lit de mort, et n’attachant plus de prix aux louanges que Louis XIV lui faisait parvenir. Cependant il est permis de croire que ce sont là des propos de mourans, et il était bien tard pour ceux qui avaient tant sacrifié à l’ambition durant toute leur carrière de s’en montrer rassasiés et revenus au moment de quitter la vie. Charles-Quint s’y était pris plus tôt ; mais ne sait-on pas qu’à peine entré dans le monastère de Saint-Just, il regrettait le trône ? M. Foissac cite un mot de Henri IV qu’on ne saurait lire, nous l’avouerons, sans se sentir vivement porté à réfléchir sur la valeur réelle des choses et l’avantage relatif des existences. « Le plus heureux des Français, disait ce souverain avec la finesse qui lui était habituelle, et en y joignant l’expression d’un sentiment de mélancolie qu’il puisait dans les circonstances au milieu desquelles il se trouvait placé, le plus heureux des Français est celui qui, possesseur de dix mille livres de rente, n’a jamais entendu parler de moi. » Cette réflexion, il faut bien le reconnaître, est d’une vérité et d’une sagesse profondes ; elle a en outre à nos yeux le mérite de s’appliquer assez bien à l’état social qui est le nôtre, et dont nous parlions tout à l’heure. Cette grande facilité, offerte à chacun, d’aspirer à tout crée une surexcitation, un besoin de s’accroître et de s’élever, qui est l’inconvénient placé à côté de l’avantage dans les sociétés démocratiques, et si la somme des biens s’augmente, celle des maux suit la même proportion. Il est donc utile, il est essentiel que cette soif d’être et d’avoir soit tempérée par une juste appréciation de ce qui constitue le vrai bonheur, et que l’idée qu’on le trouve dans la possession de la richesse et des honneurs ne vienne pas à se trop généraliser. Ce serait un mal, non-seulement pour ceux auxquels il n’a pas été donné de forces suffisantes et de chances assez heureuses pour atteindre un tel but ; ce serait aussi un mal pour la société, car ces souffrances deviennent des dangers, et il serait important que bien des gens consentissent à admettre, avec Henri IV, que l’on peut être heureux avec dix mille livres de rentes dans un coin bien retiré du pays, où le bruit des luttes et des agitations politiques ne parviendrait jamais.

Si donc l’ouvrage de M. Foissac ne doit pas convertir à ses préceptes toute cette classe de malades qui seraient désolés de cesser de l’être, nous sommes persuadés que la lecture ne peut qu’en être salutaire, et que ceux-là mêmes qu’il ne saurait convaincre y pourront trouver de précieuses consolations dans les désenchantemens et les déceptions dont les ambitieux, moins que personne, ne sauraient rester exempts. Nous n’avons d’ailleurs envisagé cet ouvrage que par un seul côté. Tandis que l’auteur y passe en revue toutes les grandes maladies de l’âme, nous nous sommes bornés à parler de l’ambition. Nous n’avons voulu qu’indiquer rapidement le genre d’intérêt que nous avons trouvé, pour notre part, dans ce livre. Dans la variété des points de vue qu’il embrasse, il offre matière à d’amples réflexions sur les différentes conditions de la vie, et nous ne saurions terminer sans ajouter que nous ayons emporté de cette lecture une impression qu’il n’appartient qu’aux saines maximes et aux bons écrits de laisser après eux.


V. DE MARS.


Système de guerre moderne, ou nouvelle tactique avec les nouvelles armes. — Le colonel du 6e régiment de lanciers, M. le baron d’Azémar, vient de publier sous ce titre deux études qui forment un traité intéressant et