Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/324

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

âge, qu’on appelle avec justesse l’âge ingrat, où la jeune fille, encore indécise, a tant de peine à sortir des limbes obscurs de l’enfance. Les misères de la vie errante l’avaient affaiblie et comme retardée ; ses jambes minces et ses pieds osseux sortaient d’une robe en lambeaux qui laissait apercevoir ses épaules saillantes ; ses cheveux d’un noir bleu s’ébouriffaient sur ses tempes creuses et cachaient à demi ses oreilles, où pendaient de larges ornemens de cuivre. Son front semblait trop large pour le visage décharné qu’il surmontait, pareil à ces frontons démesurés qui couronnent des architectures trop grêles ; sa peau brune avait des tons olivâtres qui faisaient paraître plus blanches encore les dents éblouissantes qu’elle montrait en souriant. Ses gestes avaient une sorte de brusquerie sauvage qui contrastait avec le timbre presque attendri de sa voix. Elle se tenait debout devant George, dans une attitude à la fois pleine de respect et de curiosité ; elle souriait en le voyant manger avec appétit.

— Est-ce que tu me connais ? demanda George.

— Oui, répondit-elle ; vous êtes l’homme au bracelet d’or. Vous êtes venu souvent au campement de nos hommes ; vous avez la main prodigue, parce que vous avez le cœur bon. Quand vous venez et que je vous vois, cela me fait plaisir.

— Prenez garde, mon ami, s’écria Ladislas en riant, cette charmeresse couleur de chaudron vous fait une déclaration d’amour.

La bohémienne jeta un regard de colère sur Ladislas. — Pourquoi te moques-tu de moi ? lui dit-elle. Si ma peau est noire, c’est que je suis née sous le soleil, bien loin d’ici, et, ajouta-t-elle avec une triste inflexion de voix, je ne sais rien charmer.

— Où donc es-tu née ? demanda George.

— Je ne sais ; dans un pays où il y a de grands fleuves et des femmes qui ont la peau jaune comme du safran.

— Et comment t’appelles-tu ?

— La femme qui m’a nourrie et longtemps portée sur son dos me nommait Bégara, mais nos hommes m’appellent Mezaamet.

— Eh ! s’écria George avec surprise, c’est un mot arabe qui signifie couleuvre.

— Je le sais, répliqua— t-elle. Je connais bien des langues ; nous sommes restés deux ans près d’une vieille ville en ruines que les gens du pays appelaient Baalbeck : là, j’ai appris l’arabe.

— Ah ! ah ! reprit George. Pourrais-tu me dire ce qu’il y a sur mon bracelet ?

— Je ne sais pas lire, répondit Mezaamet.

George lui lut les mots arabes qui se déroulaient en belles lettres ornées sur les plaquettes d’or. Elle l’écouta, puis, le regardant attentivement au visage, elle secoua la tête avec tristesse et lui ré-