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par des bariolages tracés sur les joues et le nez au moyen du roucou[1] et simulant assez bien les besicles de nos bisaïeules ; mais en dépit de ces grandes lâches rouges, les sauvages filles du désert n’en frappent pas moins par leur fière et rayonnante beauté, surtout quand elles lancent leurs chevaux rapides à travers la plaine et que le vent rejette en arrière leur longue chevelure.

Comme pour tant d’autres nations sauvages, barbares et civilisées, le mariage n’est le plus souvent chez les Goajires qu’un contrat de vente ; mais ce contrat né s’opère que si l’homme et la femme se conviennent par l’âge et sont également forts et bien faits : les avortons et les infirmes, très rares d’ailleurs, sont impitoyablement condamnés au célibat. Le prétendant cherche à plaire d’abord au père de famille, et quand il est convenu avec lui du nombre de bœufs ou de chevaux que coûte la jeune fille, il se dirige vers le rancho de la future, poussant devant lui son troupeau. Les animaux sont comptés, palpés, examinés par le père de la belle et les connaisseurs de la tribu ; puis, à grands coups de ciseaux, on fait une nouvelle marque sur leur robe, et lorsque la dernière tête de la manada[2] a changé de propriétaire, le jeune homme peut s’approcher de sa fiancée : le mariage est conclu et la fête commence. Cependant les parens qui tiennent beaucoup à la beauté de leur race se laissent aussi toucher par d’autres considérations que celle de la fortune ; si le prétendant se fait remarquer entre tous ses compagnons par sa force, sa haute taille et sa grâce, ils lui accordent gratuitement une ou même plusieurs femmes ; parfois ils vont jusqu’à lui faire un présent de bœufs, de chevaux, de perles ou de fusils, pour le remercier de l’insigne honneur qu’il leur fait d’entrer dans leur famille. Pour ces hommes, la véritable aristocratie est celle de la beauté ; la richesse et le pouvoir appartiennent à ceux que la nature a favorisés sous ce rapport. Lorsque le hasard des naufrages jette sur la côte goajire quelques matelots étrangers, les Indiens, qui n’ignorent pas l’importance callipédique des croisemens bien entendus, retiennent les hommes grands et vigoureux, et leur font payer par quelques années de mariage forcé avec deux ou trois, belles Goajires l’hospitalité qu’ils leur accordent. Quant aux infortunés matelots affligés par le destin d’une apparence chétive, ils sont dépouillés de leurs vêtemens et renvoyés de tribu en tribu jusqu’à Rio-Hacha, poursuivis par les huées et les rires.

Les Goajires ne sont hospitaliers que pour les hommes de leur race et les étrangers qui ont imploré leur protection. Ils haïssent

  1. Bixia orellana.
  2. Troupeau de bœufs ou troupe de chevaux.