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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/909

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sera-t-il pas toujours de même à l’avenir, à cause de l’immense quantité de projectiles qu’il est devenu possible de lancer dans un temps très court ; mais il y a encore de fortes raisons d’en douter. La résistance de Lille en 1792 est un exemple mémorable, parmi beaucoup d’autres, de l’insuffisance des bombardemens seuls pour faire tomber les villes fortifiées. Le souvenir de ce siège célèbre nous semble même très propre à faire ressortir l’exagération des opinions généralement admises sur les dangers particuliers à ces actes de guerre, à préciser aussi la valeur incendiaire des projectiles creux, que l’on a crue supérieure à celle de tous les autres projectiles, et même irrésistible lorsqu’ils étaient remplis de matières inflammables. Des expériences directes ont prouvé que ni la poudre, ni aucun artifice incendiaire ne possède à un degré éminent, comme on se l’était figuré, le pouvoir de mettre le feu au bois et aux autres parties combustibles de nos habitations[1]. À moins de rencontrer des matières très inflammables, telles que du foin, des copeaux de bois sec ou des couvertures en chaume, les obus et les bombes n’allument pas directement des incendies. C’est surtout en renversant les maisons et en mettant les foyers qui s’y trouvent en contact avec les débris des planchers et des toitures, qu’ils peuvent occasionner des désastres considérables. Leur qualité de projectiles creux n’est pour rien dans cet effet, le canon le produirait également, et plus rapidement peut-être[2].

Les récits des bombardemens de villes ont rarement été faits par des hommes assez observateurs pour mettre cette vérité en relief ; il n’était pas impossible pourtant de la faire ressortir en comparant entre eux certains détails de ces relations. D’autres exemples permettent d’apprécier la puissance particulière aux deux causes d’incendie que nous mettons en regard, la démolition des maisons et l’explosion des obus. Il est sans exemple qu’une ville renversée par un tremblement de terre n’ait pas vu sa ruine achevée par le feu, et là il n’est plus question de poudre ni de bombe.

  1. Il est aisé de reconnaître, par une expérience simple et à la portée de tout le monde, combien une flamme vive, mais passagère, comme celle de la poudre en petite quantité, est peu propre à propager le feu. Il suffit d’enflammer une dizaine de grammes de poudre répandus sur une feuille de papier. Si le papier est en coton, il brûlera en partie, mais sans flamme ; s’il est en fil, la combustion ne se produira que si la poudre contient une certaine proportion de poussier ; enfin une carte à jouer ou du papier un peu fort demeurera intact malgré la présence du poussier. D’après la résistance qu’offrirait à l’action du feu le papier en rames, on peut croire qu’une douzaine d’obus, éclatant dans la boutique d’un papetier, n’y allumeraient pas d’incendie.
  2. Nous pouvons citer à l’appui de notre opinion celle du général Congreve, qui dit aussi que les projectiles creux ne font d’effet que s’ils sont réunis en grand nombre. Voici ses expressions textuelles : «… Allowing that the shell does not often set fire, it requires a vast number of them to destroy any great number of houses. »