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monter à cheval et à se lancer au galop, voilà ce qui avait frappé tout d’abord chez ce poète de taverne. Il pouvait déjà dire, en publiant son premier travail, ce qu’il dira plus tard, aux applaudissemens de son pays :


« Mon Pégase n’est pas un cheval anglais, avec des jambes en échasses et une poitrine grêle ; ce n’est pas non plus une bête allemande, épaisse, énorme, à larges épaules, un lourdaud, une espèce d’ours, aux allures pesantes.

« Mon Pégase est un poulain hongrois, un vaillant poulain, pur sang de Hongrie, et soigneusement étrillé, si bien que le soleil aime à faire jouer les reflets de ses rayons sur sa robe de soie lisse.

« Il n’a pas grandi à l’écurie, il n’a pas été à l’école comme un cheval de qualité ; il est né en plein air, je l’ai pris sur le sable chauve et nu de la Petite-Koumanie.

« Je ne l’ai pas chargé d’une selle, une natte d’osier me suffit pour me tenir à cheval ; dès que j’y suis, le voilà qui s’élance et qui vole. Il est parent de l’éclair, mon cheval aux lueurs fauves.

« Il aime surtout à me conduire dans la Puszta[1]. Cette libre lande est son pays natal ; quand je le dirige de ce côté, il se cabre de joie, et frappe du pied la terre, et pousse des hennissemens.

« Dans les villages, je m’arrête devant maintes maisons où sont assises des jeunes filles semblables à un essaim d’abeilles ; je demande à la plus belle de me donner une fleur, et je repars aussi rapide que le vent.

« Aussi rapide que le vent, mon coursier m’emporte, et un seul mot me suffit pour qu’il m’entraîne au-delà du monde. L’écume flotte à sa bouche, tout son corps fume. Ce n’est pas signe de lassitude et de découragement, c’est le feu de son ardeur toujours prête.

« Jamais encore mon Pégase ne s’est senti fatigué, et si cela lui arrive un jour, je n’en serai pas satisfait, car il est encore bien long, le chemin que j’ai à parcourir sur la terre ; elles sont bien loin là-bas, les bornes de mes désirs.

« En avant, mon coursier, en avant, mon doux cheval ! Franchis rochers et ravins. Si un adversaire nous barre la route, passe-lui sur le corps, et toujours en avant !


À partir de la publication de ce premier recueil, Petoefi déploie une verve intarissable. Pendant les années 1845 et 1846, poèmes et strophes s’échappent à l’envi de ses lèvres mélodieuses. Tantôt ce sont des récits, de longs récits ou comiques ou poétiques, de petites épopées qu’il emprunte soit aux mœurs de la Hongrie moderne, soit aux traditions légendaires. Tels sont : le Marteau du Village, Un Rêve magique, Salgo, la Malédiction de l’Amour, Szilay Pista, Maria Széchi, et surtout le Héros János, véritable chef-d’œuvre de grâce, de passion, rêve héroïque et tendre raconté avec un demi-

  1. C’est le nom que les Hongrois donnent aux landes immenses de leur pays, a ce vaste désert plein de marais qui s’étend entre la Theiss et le Danube.