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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/1008

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ascendant. Le premier homme du ministère anglais, au début de la session, dans la lune de miel du traité de commerce avec la France, était M. Gladstone. C’était de son crédit, de son prestige, de l’admiration universelle conquise par l’ampleur de ses combinaisons financières et par son extraordinaire éloquence que vivait le cabinet anglais. La figure triomphante était la sienne ; il rayonnait, et ses collègues étaient l’ombre. À mesure que la session s’est avancée et qu’en même temps se développaient les accidens de politique extérieure qui ont occupé l’Europe depuis six mois, la roue de la fortune ministérielle a tourné. M. Gladstone, l’homme du traité de commerce, M. Gladstone, l’homme des finances arrangées pour dégoûter l’Angleterre des dépenses militaires, M. Gladstone le pacifique perdait peu à peu la faveur du public, et le vieux Pam, l’Anglais pur sang, le surveillant jaloux de la France, le vétéran rompu aux roueries diplomatiques, le malin qui n’est dupe de rien ni de personne, et qui met partout en ricanant la forte main de l’Angleterre, regagnait peu à peu son empire sur les esprits. Sa suprématie est au comble aujourd’hui. Il vient d’en faire l’épreuve il y a huit jours. Une dernière lutte de parti s’est engagée à propos d’une disposition du traité de commerce français où étaient en jeu la grande question du papier et la grande question des chiffons. On sait que M. Gladstone avait aboli le droit d’excisé sur le papier, et que la compensation naturelle de cette mesure était la suppression des droits d’importation sur le papier étranger ; mais la chambre des lords ayant rejeté l’abolition du droit d’excisé sur le papier, lord Palmerston, qui était au fond de l’opinion des lords, n’ayant pas voulu soutenir M. Gladstone dans la lutte où celui-ci aurait voulu engager les communes contre la chambre haute, il fallait revenir sur la question des droits de douane relatifs au papier. Les producteurs anglais ne pouvaient en effet être livrés à la concurrence étrangère complètement affranchie tant qu’ils resteraient soumis eux-mêmes à une taxe de consommation à l’intérieur. Un incident compliquait cette affaire : en donnant l’entrée en franchise à nos papiers, les Anglais avaient espéré avec raison que nous lèverions la prohibition qui pèse chez nous sur la sortie de la matière première de la fabrication du papier, les chiffons. Cette prohibition n’ayant pas été levée par la France, l’opinion qui dominait dans la chambre des communes était qu’il fallait conserver les anciens droits de douane sur le papier, et attendre, pour établir l’égalité de traitement entre les produits des deux pays, que nous eussions effacé notre prohibition. Le gouvernement français, par un louable esprit d’équité et de conciliation, offrait au ministère anglais d’ajourner la solution, si cela entrait dans ses convenances ; mais M. Gladstone, avec une chevalerie de paladin commercial et un dogmatisme économique intraitable, a refusé l’aide que lui offrait la modération de notre gouvernement ; il a voulu établir immédiatement l’égalité entre le droit de douane à l’entrée du papier français et le droit d’excisé payé par le papier anglais. Son obstination généreuse fournissait ainsi une excellente occasion de combat à l’opposition, qui voulait en profiter et était