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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/116

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scaldes habiles, mais ils entretenaient avec la France d’étroites relations intellectuelles, et pas un poème français, pas une chanson de geste ou un récit poétique en langue romane n’arrivait à quelque célébrité dans la cour de saint Louis qu’il ne fût soigneusement traduit dans la péninsule Scandinave pour les plaisirs de la cour de Norvège. Les troubles qui avaient suivi l’union de Calmar avaient, il est vrai, nui à l’indépendance et à la grandeur de la Norvège, elle avait langui pendant plusieurs siècles ; toutefois son abaissement n’avait pas empêché l’instruction et les idées modernes d’y pénétrer ; grâce au gouvernement assez doux du Danemark, elle s’était réveillée de sa longue torpeur, avait recueilli les échos de la révolution française et retrouvé la mémoire de son ancienne dignité ; les circonstances politiques qui en 1814 la séparaient du Danemark la trouvaient prête enfin à revendiquer les droits dont elle avait été si longtemps privée.

La couronne que les Norvégiens venaient de décerner au prince Christian-Frédéric était assurément fort éphémère ; il n’eut pour le 22 mai, jour de son couronnement, qu’un trône de théâtre qui avait servi quelques jours auparavant au comte Almaviva dans une représentation du Mariage de Figaro, et les vingt-quatre clés de chambellans qu’il fit fabriquer en Angleterre n’arrivèrent qu’après son abdication. Cependant la constitution d’Eidsvold était née plus viable que cette royauté, parce qu’elle répondait aux instincts démocratiques de tout un peuple.

C’est ce qu’avait pressenti peut-être Bernadotte quand il avait d’abord accepté les termes de l’article 4 du traité de Kiel, et lorsqu’il avait ensuite fait promettre par Charles XIII et promis lui-même dès le 8 février 1814, avant la révolte de la Norvège et la constitution d’Eidsvold, que le gouvernement suédois convoquerait les représentans du peuple norvégien, afin qu’ils pussent discuter et proposer à l’assentiment de Charles XIII une constitution consacrant et garantissant leurs libertés intérieures. Il est vrai que, dans certains retours de mauvaise humeur et d’impatience, Bernadotte démentait ces sortes de promesses, et déclarait qu’aucun engagement formel ne liait encore le gouvernement suédois. « Des concessions ! s’écriait-il le 21 juillet à Uddevalla en présence du comte Orlof, qui revenait de Norvège ; ce sont des révoltés qui demandent des concessions, et c’est la Russie qui me les conseille !… Non, non. Je ferai la guerre, je la ferai seul, si mes alliés refusent de remplir envers moi leurs engagemens ; je retire les promesses que j’ai faites aux Norvégiens, et je reprends tous les droits qui me reviennent en vertu du traité de Kiel ! » Ainsi parlait Bernadotte dans ses momens d’humeur, ne reconnaissant pas alors, comme on voit, le sens incontestable