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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/129

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désespérer, du côté de l’orient ou de l’occident, toute vue d’agrandissement ou seulement toute prétention d’influence ; c’est en particulier l’intérêt de la France, qui a accepté en 1855 la garantie de l’intégrité des deux royaumes contre toute atteinte de l’une des deux parts. Si les rapports mutuels entre la Suède et la Norvège s’envenimaient un jour, on ne saurait entrevoir d’autre perspective à l’issue de ces déplorables querelles qu’une tentative de république en Norvège sous la protection de l’Angleterre. Cette prévision ne paraîtra pas exagérée à quiconque a visité la Norvège. La Norvège est à demi anglaise déjà par les mœurs, au moins dans les villes, et elle affecte de l’être plus qu’elle ne l’est encore ; mais cela même est dangereux. Tandis qu’en Suède on parle français et allemand, on parle beaucoup en Norvège un fort mauvais anglais et on prend le thé. Les Anglais y viennent chaque année en grand nombre pour chasser l’ours, pour pêcher le saumon, ou bien pour raffiner le sucre et établir des scieries. Les Anglais sont comme nous, depuis 1855, protecteurs officiels de ce vaste pays, dont le voisinage met à leur portée plus qu’à la nôtre les précieuses ressources. Qui sait ce qu’enfanteraient de troubles imprévus dans le Nord d’une part les dissentimens devenus extrêmes entre la Suède et la Norvège, de l’autre certaines complications que pourrait entraîner le fâcheux état du Danemark ? Hâtons de nos vœux, comme contre-poids à de telles chances dans l’avenir, l’établissement d’une forte alliance défensive entre les deux peuples qui occupent la péninsule Scandinave. Lors même qu’ils grandiraient jusqu’à figurer en Europe comme puissance offensive, nous n’aurions point à nous en inquiéter ; loin de là : nous verrons, en étudiant la politique extérieure du roi Oscar, qu’un de ses mérites a été précisément de replacer à cet égard dans ses voies traditionnelles un pays habitué à considérer la France comme une naturelle et ancienne alliée.


AUGUSTE GEFFROY.