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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/137

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la Beauce, Hermine n’eût probablement jamais songé à mettre le pied hors de la France ; sur les côtes de la Bretagne, il lui semblait presque certain qu’un jour viendrait où elle aussi parcourrait les terres lointaines et merveilleuses dont on l’entretenait avec tant d’enthousiasme, qu’elle aussi vivrait de cette vie ardente, agitée ; que la plupart de ses amies avaient connue dans les belles contrées du soleil.

Une jeune fille de vingt ans, la plus intime compagne d’Hermine, devait surtout exercer une grande influence sur sa destinée. Le père de Camille avait été pendant longtemps gouverneur de Bourbon ; sa femme y était morte alors que Camille comptait seize ans à peine. Dans une position où elle n’était entourée que de flatteurs, la jeune fille avait donc joui d’une indépendance absolue. Quelles qu’eussent été d’ailleurs les circonstances, les penchans de Camille se fussent développés et satisfaits. Camille était ce qu’on appelle vulgairement une femme trois fois femme : bien qu’on puisse rêver un type plus élevé, plus aimant, plus pur, celles qui lui ressemblent sont seules organisées peut-être pour trouver le bonheur à notre époque. Naïvement rouée, parfaitement à l’aise dans le mensonge, au fond sans fierté aucune, assez indifférente de cœur et voluptueuse à l’excès, bienveillante avec les jeunes femmes parce que la vanité entrait pour peu de chose dans ses passions, souple, caressante, flatteuse avec les hommes, de quelque âge, de quelque apparence qu’ils fussent, n’exigeant d’eux ni grandes qualités, ni excessive délicatesse, Camille était déclarée une femme ravissante par tous ceux qui l’approchaient, même par les mères de ses amies, avec lesquelles elle se montrait sans nul effort d’une docilité touchante, d’une ingénuité enfantine.

Hermine subit comme les autres le charme de Camille, plus que les autres même, car sa parfaite sincérité, sa candeur immaculée, ne lui permettaient pas d’épeler le premier mot du caractère de son amie. L’immense besoin d’amour qui trouble à leur insu les jeunes âmes fortes et chastes contribuait peut-être un peu à rendre Camille chère à Hermine. Les intonations attendries, les regards pénétrans, les démonstrations passionnées que les femmes pudiques et vraiment tendres réservent pour un seul, Camille les prodiguait volontiers ; ses caresses, ses causeries abandonnées, mirent dans l’existence d’Hermine des émotions que le Bengali avait ignorées jusque-là. Ce fut comme une vague révélation du sentiment inconnu auquel elle aspirait sans le savoir.

Le lieutenant et sa femme étaient trop simples de pensées, trop austères de mœurs, pour voir autre chose dans Camille qu’une douce et affectueuse enfant. Ils permettaient donc volontiers à leur fille de