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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/168

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Hermine s’efforça de percer les ténèbres pour apercevoir plus tôt celui qu’elle aimait. Toute sa force l’abandonnait quand elle entendait le sable crier sous les pas de Jean. Ce bruit, d’autres pouvaient aussi l’entendre. Une fois dans les bras de Jean, Hermine ne redoutait plus rien.

Une nuit, trois heures sonnèrent sans qu’aucune branche de l’aubépine eût remué, sans que le gravier eût gémi. Jean avait pourtant répété deux fois : « à ce soir. » Hermine était folle d’inquiétude. Ce n’était plus la jeune fille indécise et timide, c’était une femme fière de son amour, prête à l’avouer hautement, prête à tout braver pour arracher son amant aux périls inventés par une imagination en délire. Vingt fois Hermine se dirigea vers la porte de sa chambre, résolue à courir dans la nuit jusqu’à Keraven, vingt fois la crainte de réveiller son père l’arrêta. Le temps s’écoulait. Dès cinq heures le jour se fit, à six heures le soleil se leva radieux. Hermine tomba dans un engourdissement douloureux dont elle fut tirée par la voix de Jean. Jean riait et plaisantait dans le jardin avec Mme Tranchevent et Caroline.

La toilette d’Hermine n’était pas encore achevée quand le lieutenant l’appela par la fenêtre de son cabinet et lui cria que le déjeuner était servi. Si les parens d’Hermine avaient regardé attentivement leur fille, l’altération de ses traits les eût effrayés ; mais on n’observe guère les personnes qu’on voit tous les jours. Ceux qui nous approchent le plus près sont toujours les derniers à soupçonner les grands ébranlemens de notre âme. Heureuse de voir Jean au milieu de sa famille, Hermine avait presque oublié les émotions de la nuit ; mais elle fut sur le point de se trahir quand elle entendit le lieutenant parler, comme d’une chose arrêtée, du très prochain départ de Jean.

— Peut-être visiterai-je Carnac, disait Jean d’un ton assez naturel, peut-être aussi m’embarquerai-je directement pour Paris.

— Je ne parierais pas pour Carnac, dit le lieutenant en riant.

— Vous pourriez avoir tort, répliqua Jean.

Hermine se contint à grand’peine pendant le déjeuner.

— Vous partez ? dit-elle à Jean d’une voix saccadée dès qu’il lui fut possible de se rapprocher un instant de lui.

— Oui et non, rien ne doit vous surprendre… Après-demain, dit à haute voix Jean, qui croyait sentir peser sur lui les regards de toute la famille.

Le soir de ce même jour, Jean partit officiellement pour Paris, et la nuit suivante, avant onze heures, il était près de sa cousine. Hermine attendit jusqu’à cette entrevue l’explication de la conduite si bizarre en apparence de Jean.