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ciel, les vents et les arbres, et venant expliquer aux docteurs la science sur laquelle ceux-ci avaient pâli. Élève distingué d’Oxford, où il remporta en 1833 le prix de poésie anglaise, M. John Ruskin n’avait pas vingt-quatre ans quand il lança son premier volume[1]. Si ce livre n’eût été qu’une impertinence de jeunesse, il n’y aurait rien que d’assez vulgaire dans ce début. Ce qui était beaucoup plus extraordinaire que son ambition de dicter la loi à la peinture, c’est qu’avant d’enseigner, le jeune auteur avait véritablement pris la peine de beaucoup apprendre. Il se peut qu’il ait mal jugé ce qu’il importait de savoir : je crois, pour ma part, qu’il n’avait pris conseil que de son inexpérience en commençant par décider que le seul rôle du peintre était de nous faire connaître exactement les choses de la nature ; mais, cette idée une fois admise, on ne peut nier qu’il n’ait sérieusement usé de toutes ses forces pour constater et classer les vérités de forme, de coloration et d’apparence, qu’il regardait comme l’objet principal de la peinture. Il faut aussi le reconnaître à son honneur : la première intention de son œuvre avait été une pensée d’admiration pour un grand artiste bien plutôt qu’une pensée de présomption et d’ambition personnelle. S’il avait pris la plume, c’était surtout par enthousiasme pour la gloire de Turner, le paysagiste, et dans le désir de le venger de l’ingratitude et des aveugles critiques qui s’adressaient à son génie. Toujours est-il que, pour démontrer la supériorité de Turner, il n’avait rien moins entrepris que de donner une théorie de la peinture : tâche bien lourde pour un jeune homme de vingt-trois ans, encore plus difficile pour un gradué d’Oxford qui, tout en ayant étudié le paysage sous MM. Copley Fielding et Harding, avait surtout fait sa veillée des armes avec Aristote et Locke, avec les vieux théologiens du XVIIe siècle, et qui avait puisé dans la lecture des poètes, en particulier de Wordsworth, une bonne partie de l’idéal qu’il appliquait à la peinture.

Ce n’est pas que je veuille contester aux purs lettrés toute compétence en matière d’art ; je crois que, pour mettre un homme à même de produire une bonne théorie d’esthétique, la longue expérience d’un Michel-Ange ne suffirait pas, si elle n’était accompagnée d’un grand développement philosophique ; mais je crois également que, dans la jeunesse surtout, une éducation trop purement intellectuelle et poétique ne peut qu’aveugler l’esprit sur la vraie nature de l’art. La jeunesse est trop exclusive et trop agressive. Au lieu de chercher à sentir tout ce qu’elle peut voir et aimer, elle n’aspire qu’à trouver ou à concevoir la chose unique qui mérite seule d’être

  1. Les Peintres modernes, par un gradué d’Oxford, 1843.