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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/23

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et d’ordinaire on cite à l’appui, ou le principe des nationalités, ou la théorie des frontières naturelles, ou l’imminence de la question d’Orient, qui, devant tout absorber, pourrait tout apaiser.


III

La nationalité n’est pas une chose nouvelle, car elle s’établit par l’histoire et remonte aux origines des races humaines. Chose étrange, nouvelle en est l’idée dans la politique. On ne voit guère qu’à aucune époque des temps modernes cette idée ait joué un grand rôle dans les combinaisons des congrès et dans les calculs des conquérans. Ce sont plutôt les livres que les traités qui l’ont introduite dans l’opinion, et de l’opinion dans les affaires. Les Allemands, dont l’oreille n’est pas toujours flattée du mot de nationalité, quand on le prononce à l’occasion des Italiens ou des Slaves, devraient s’en prendre surtout à eux-mêmes, si notre temps a mis au monde cette thèse de savans qui tendrait à soumettre la politique à l’ethnographie et le règlement des intérêts positifs aux conjectures de l’érudition. De là cette forme pour ainsi dire littéraire qu’a prise depuis un temps un principe qui ne devrait être que l’expression d’un fait reconnu. On a voulu même en faire la clé de l’histoire. Un habile historien a inauguré parmi nous une méthode qui lie au mouvement des races le mouvement des choses humaines, et quelque part que l’on consente à faire, avec Augustin Thierry, dans la constitution sociale de la Grande-Bretagne, à la superposition de diverses couches de tribus conquérantes, il répugne de tirer de ce fait unique les institutions et les guerres de l’Angleterre, par exemple l’avènement de Guillaume de Nassau ou la conquête de l’Inde ; mais c’est surtout dans la pratique des affaires qu’il est impossible de faire d’une question de nationalité une question d’archéologues, et de décider, tantôt par la forme du crâne, tantôt par la langue, tantôt par l’architecture, de l’état politique d’une société. Que dirait-on s’il nous était proposé de constituer une nation à part avec les populations d’une portion de l’Ecosse, de deux tiers de l’Irlande, du pays de Galles, et des départemens de notre ancienne Bretagne ? Un royaume gaélique serait cependant une restauration scientifiquement réclamée.

On me dira, et l’on aura raison, que c’est de nationalité politique qu’il s’agit : c’est de ce résultat des événemens et des siècles, qui est comme l’état civil d’une agrégation d’hommes attachés à un certain sol, réunis par de certains souvenirs, constitués sous un certain nom que l’histoire a consacré. J’entends ce langage, et une nationalité ainsi établie est toujours respectable. On remarquera cependant que bien souvent l’ethnographie, loin de la confirmer, chicanerait