Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/369

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

droit, on ne pouvait que la restituer au Nicaragua ; mais l’Angleterre avait alors des illusions sur l’Amérique centrale : elle n’était pas impatiente d’abandonner ce qu’elle tenait, et elle semblait laisser au temps, ce grand complice des violences impunies, le soin de légitimer son illégitime agression. Peut-être aussi voulait-elle se réserver un point d’appui pour combattre les tendances envahissantes des Américains dans le bassin des Antilles et pour maintenir, au besoin par la force, la neutralité des passages. Quoi qu’il en soit, le vœu de la convention provisoire de Cuba est resté sans effet. Le pavillon mosquite, écartelé du jack anglais, flotte encore à Grey-Town. Ce n’est que dans ces derniers temps que, fatiguée de ses luttes avec les États-Unis pour un protectorat sans avantages et sans honneur, l’Angleterre a paru vouloir revenir en arrière, et la nomination de sir William Gore Ouseley comme ministre plénipotentiaire chargé de terminer enfin cet irritant débat a été regardée par l’opinion comme l’annonce officielle de l’esprit nouveau de sa politique dans l’Amérique centrale.

J’ai cru alors, comme tout le monde, que l’acte principal de cette mission devait être un traité de restitution pure et simple de la ville et du territoire de Grey-Town au Nicaragua, sous la réserve d’une déclaration de franchise du port et d’une indemnité plutôt de convenance que d’obligation pour le roi mosquite. J’espérais même que, se plaçant à un point de vue plus élevé encore, la Grande-Bretagne renoncerait à cette ridicule création du royaume mosquite, qui lui a valu tant de sarcasmes de la part des écrivains américains[1], et ferait disparaître de ses cartes la délimitation de fantaisie dans laquelle sont englobées les plus riches provinces nicaraguiennes. Sur ce terrain logique et libéral, toutes les difficultés s’aplanissaient sans qu’il en coûtât rien à sa puissance réelle. Une double satisfaction était donnée aux susceptibilités des États-Unis et aux revendications du Nicaragua. Dix ans de récriminations, de malentendus et de sourdes hostilités se trouvaient effacés d’un trait de plume. Le traité Clayton-Bulwer, dont les Américains ne voulaient plus, à cause même du protectorat mosquite, reprenait du même coup son autorité et sa force[2], et l’Angleterre pouvait avec d’autant plus de raison en réclamer le loyal accomplissement, qu’elle avait commencé par payer d’exemple en sacrifiant deux siècles de prétentions. C’était

  1. Voyez notamment les ouvrages de M. Squier, le promoteur du chemin de fer du Honduras.
  2. L’article 1er du traite porte que les états contractans « renoncent à prendre ou à exercer aucun pouvoir sur les états du Nicaragua, Costa-Rica, la côte des Mosquites, et sur aucune partie de l’Amérique centrale. » Or c’est l’interprétation de cet article qui a jusqu’ici divisé les deux peuples.