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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/441

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humeur aventureuse, et affrontent des mers que la Reine-Hortense elle-même a cru devoir éviter : les autres mettent pied à terre dans la péninsule et y rencontrent un sport où ils n’ont pas de rivaux. Le jeune attaché du foreign-office, le gradué d’Oxford ou de Cambridge, le lord ou le gentilhomme, comptent pour leurs meilleures vacances celles qu’ils peuvent consacrer en Norvège à chasser l’ours ou à pêcher le saumon. On les rencontre dans les environs de Throndhiem, d’Hammerfest et de Tromsoe, et aux approches du Cap-Nord, aussi nombreux que dans les Pyrénées, en Suisse, à Rome ou au Vésuve, mais plus libres, plus amusans et plus barbus ; ils ont abdiqué la raideur britannique, ils ne sont plus en vue et se sentent comme chez eux. Ils achètent pour 2 ou 3,000 francs par mois de l’hospitalité norvégienne ou laponne, qui sur ce point n’a plus rien de primitif, le seul droit de pêcher à la ligne sous les piqûres des moustiques dans le Namsendal, le Tana-elv ou l’Alten, ou bien ils attendent que la chasse au poil soit permise, vers la fin d’août, et ils passent des mois d’automne au milieu de profondes solitudes. Aux passages les plus périlleux, ils ont fait établir des hôtelleries et des guides ; ils ont sondé ces glaciers et mesuré ces terribles chutes ; ils sont descendus, portés dans une barque de caoutchouc, au fond de ces abîmes, et ils y ont écrit fièrement leurs noms sur le roc noir. Puis ils reviennent en Angleterre, familiarisés non-seulement avec les durs exercices et le danger, mais aussi avec une nature particulière, avec un peuple et un pays voisins, dont ils connaissent désormais les ressources, le climat et les mœurs, dont ils ont soulagé la misère et dissipé l’ignorance. À la suite des touristes viennent les industriels et les négocians. Un bon nombre des principales maisons de Suède et de Norvège ont été fondées ou agrandies par des Anglais. Tout le monde connaît encore aujourd’hui à Stockholm la maison Wickers et Ce de Sheffield et d’Amérique. Vous verrez au sud-est de Christiania une ville entière fondée par un Anglais. Tout près de Frédérikstad, sur la rive droite du fiord, un baronet ennuyé de la vie a acheté, il y a dix ans, du gouvernement norvégien la chute de Sarp, une des cinq grandes chutes du pays, une rivale du Voring et du Rïukan ; on lui a cédé un peu du terrain environnant, à la condition qu’il rebâtirait là une ancienne ville ruinée jadis par les Suédois. Il en a tiré un million de rente. Là s’est établi le premier rail-way norvégien ; là se voient aujourd’hui d’une part des roues, des moulins, des viaducs, d’immenses scieries, un nombre énorme d’ouvriers, une ville tout entière, de l’autre des prairies, des fermes, toute une grande exploitation agricole, avec trois cents laboureurs, tout cela fondé en dix années. La ville est encore dans l’enfance ; la grand’place entoure une très belle église ; elle a d’un côté des boutiques où sont exposés les produits anglais