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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/471

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conscience et de combattre l’hérésie. Viruès eut des successeurs, qui subirent comme lui l’influence des idées nouvelles. Cette circonstance a pu faire soupçonner que les convictions religieuses de Charles-Quint avaient été ébranlées, sinon transformées ; mais un pareil soupçon tombe devant sa conduite, notamment devant les mesures atroces qu’il prit dans les Pays-Bas pour contenir le torrent de l’hérésie. Rien n’est plus connu que ces terribles édits qui condamnaient les coupables et les suspects à périr par le feu : les femmes étaient enterrées vives. C’était une loi draconienne avec des raffinemens de supplices qu’aurait pu envier l’inquisition. Ces mesures étaient tellement atroces que Philippe II lui-même crut devoir les adoucir, et les adoucit en effet (modero. dit son biographe Cabrera) dès la seconde année de son règne par un autre édit publié le 28 avril 1556.

On trouve quelques détails bien significatifs sur l’attitude de Charles-Quint vis-à-vis des réformateurs dans l’ouvrage d’un disciple de Mélancthon dédié à ce réformateur[1] ; l’auteur était un Espagnol fort connu de son temps sous les trois noms de Dryander, Quercetanus, Du Chesne, qui traduisent en grec, en latin et en français son véritable nom de famille : Enzinas. Francisco de Enzinas, né à Burgos, avait accompagné à l’université de Louvain deux frères plus âgés que lui. Le cadet devint professeur en médecine à l’université de Marbourg. L’aîné, nommé Jayme, se rendit à Rome après avoir publié un catéchisme conforme à la foi évangélique. Dégoûté de l’effrayante corruption qu’il trouva dans la capitale du monde chrétien, il allait rejoindre son jeune frère, lorsqu’il fut dénoncé comme hérétique à l’inquisition. Il comparut devant une assemblée d’évêques et de cardinaux, persista dans sa croyance, et fut condamné à être brûlé vif. Il périt sur le bûcher en 1546. Ce fait suffirait, à défaut de tant d’autres, pour mettre à néant l’assertion erronée de Jacques Balmès, qui affirme résolument que l’inquisition de Rome n’a jamais fait mourir un seul condamné.

Le plus jeune des trois frères Enzinas, Francisco, arrêté sous l’inculpation d’hérésie, en fut quitte pour quelques années de prison. Il a raconté lui-même naïvement et en grand détail l’histoire de sa captivité. Son crime était d’avoir publié une traduction du Nouveau-Testament en langue espagnole. Cette traduction était dédiée à l’empereur Charles-Quint. Le confesseur du monarque, Pedro de Soto, un dominicain fanatique, parut peu sensible à cet hommage, et ce fut lui qui provoqua contre Francisco de Enzinas des mesures de rigueur. Le récit de l’audience où Enzinas présenta sa traduction

  1. Histoire de l’Estat du Pais Bas et de la Religion d’Espagne, par François Du Chesne. — François Perrin, in-12, M.D.LVIII.