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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/478

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son apologie ; mais cette pièce tourna contre lui, car on y surprit des propositions hétérodoxes. Cependant le prédicateur de Séville avait à la cour des amis qui travaillaient à le sauver. L’empereur lui-même intervint, ainsi que le chapitre de la cathédrale, particulièrement intéressé à obtenir un jugement favorable, puisque l’accusé était un de ses membres. Il n’en fallut pas moins se résigner à une rétractation publique, qui eut lieu dans la cathédrale de Séville le dimanche 21 août 1552. Egidius fut condamné au silence. La confession, la prédication, la discussion en public lui furent interdites durant dix ans. Il passa trois années dans les prisons du saint-office, au château de Triana, et mourut peu de temps après avoir recouvré sa liberté, en 1556. En 1560, l’inquisition intenta de nouveau un procès à sa mémoire : ses restes exhumés furent brûlés avec son effigie, et son nom fut déclaré infâme. Pareille chose se reproduisit bien des fois sous Philippe II, en cela bien différent de son père, car celui-ci n’allait point jusqu’à troubler les cendres des morts. En 1547, quand il entra à Wittemberg après capitulation, comme on le pressait de faire déterrer le cadavre de Luther et de jeter ses restes au vent : « Non, dit-il, je fais la guerre aux vivans, et non pas aux morts. Laissons ses os reposer en paix : il a déjà trouvé son juge. »

Egidius avait eu pour condisciple à l’université d’Alcala[1]Constantino Ponce de la Fuente, célèbre par son savoir et par son esprit caustique. Chapelain de Charles-Quint et l’un de ses prédicateurs ordinaires, Constantino suivit l’empereur en Allemagne. À son retour, il fut nommé prédicateur de la cathédrale de Séville, place laissée vacante par la mort d’Egidius, qu’il s’efforça d’imiter. Quelques précautions qu’il prît, il ne put échapper à la surveillance des jésuites non plus qu’à celle des dominicains. Il fut mandé devant l’inquisition : mais celle-ci hésitait à procéder sur de simples soupçons contre un homme populaire et qui jouissait de quelque crédit à la cour. Constantino fut obligé de renouveler bien des fois ses visites au saint-office, qui siégeait alors dans un château-fort du faubourg de Triana. Comme il sortait un jour d’un interrogatoire, ses amis lui demandèrent ce que lui voulaient les inquisiteurs : « Ils veulent me brûler, mais ils me trouvent encore trop vert. » Ce que les délateurs n’avaient pu faire, le hasard le fit. Constantino avait déposé ses livres suspects et la plupart de ses écrits dans la maison d’une riche

  1. On a vu que les principaux réformateurs espagnols étaient sortis de cette université célèbre, fondée par le cardinal Ximenès de Cisneros en 1499. Quinze ans après sa fondation, elle publiait sous les auspices du fondateur la première bible polyglotte, connue sous le nom de bible d’Alcala. Hellénistes et hébraïsans accouraient à l’envi vers ce centre des études orientales, d’où devait sortir Benito Arias Montano, le plus illustre des orientalistes espagnols, l’éditeur de la bible polyglotte d’Anvers, publiée moins de soixante ans après celle du cardinal Ximenès.