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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/490

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Quint, cette nomination provoqua chez le vieil empereur retiré à Yuste un vif mécontentement. Prévenu par son confesseur, Juan de Régla, il avait conçu des doutes sur l’orthodoxie de l’archevêque de Tolède. On assure que, peu de jours avant sa mort, quand le prélat, récemment débarqué en Espagne, vint lui rendre visite, il le regarda sans lui adresser la parole. Ce silence fut considéré comme un blâme de sa conduite. Carranza néanmoins assista l’empereur mourant. Vers la fin de l’agonie, il récita à genoux le psaume De profundis, faisant suivre chaque verset de réflexions conformes à la circonstance ; puis, se levant, il prit dans ses mains un crucifix, et s’écria : « Voilà celui qui nous a sauvés, tout est pardonné ; grâce à lui, il n’y a plus de péché. » Ces paroles ne furent pas du goût de tous les assistans, et sur l’invitation de don Luiz de Avila, fray Francisco de Villalba commença une exhortation dans le sens catholique, et dans l’œuvre du salut il fit valoir les propres mérites de l’homme, sans oublier l’intercession des saints. Ainsi (la remarque en a été faite) Charles-Quint, à son lit de mort, put voir les deux religions en présence, et s’il conserva jusqu’à la fin sa pleine intelligence, ce conflit dut profondément troubler son âme et lui rendre l’agonie plus amère.

Les dernières paroles de Carranza à Charles-Quint n’avaient pas été perdues ; elles furent rapportées à l’archevêque de Séville, Valdès, par Juan de Régla. Le grand-inquisiteur, ennemi personnel de Carranza, accueillit avidement les dépositions du délateur, et dès lors commença une œuvre d’iniquité qui devait durer près de dix-huit ans. M. Adolfo de Castro à consacré tout un livre de son Histoire des Protestans espagnols au récit de la persécution et du procès de Carranza, et il y a mis une impartialité qu’on peut trouver excessive. Deux idées dominent dans ce récit. D’aprés M. de Castro, Carranza était véritablement un hérétique luthérien ; — son procès se prolongea indéfiniment, non par la volonté des inquisiteurs, mais par sa propre faute. De ces deux propositions, la première est plus plausible que la seconde : l’une et l’autre sont d’ailleurs trop absolues, et partant contestables.

L’archevêque de Tolède fut arrèté à Tordelaguna, à une lieue de Salamanque, dans la nuit du 22 août 1559, par les émissaires de l’inquisition. Le célèbre chroniqueur Ambrosio de Morales a laissé une relation manuscrite de cette arrestation. Le récit de Morales est simple et émouvant. De Tordelaguna, l’archevêque fut conduit sous bonne escorte à Valladolid et aussitôt enfermé dans les prisons du sainte-office. Il y passa quelques années dans le secret le plus absolu. Le grand-inquisiteur Valdès tenait enfin sa proie ; il devait être juge dans cette affaire, mais le prévenu le récusa. Le pape autorisa Philippe II à nommer un substitut. Le choix du roi tomba sur l’archevê