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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/568

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travail séparent forcément tous les membres de la famille pendant la journée, et quand le domicile où ils se rencontrent quelques heures pour prendre un peu de repos est malpropre, insuffisant, presque inhabitable, il faut une grande vertu pour résister à ces deux causes de trouble intérieur. Les désordres produits par cette situation anomale des femmes doivent être constatés avec une sympathie profonde pour ceux qui en souffrent et un désir ardent d’y porter remède. C’est en même temps le plus grand malheur des ouvriers et la cause de tous leurs autres malheurs. En énumérant les principales professions de la filature, nous verrons quelques occasions de danger, quelques états insalubres ou fatigans à l’excès ; mais nous pouvons dire à l’avance que le mal n’est pas dans la manufacture elle-même ; il est à côté. Les professions insalubres sont en petit nombre, et n’occupent qu’un personnel restreint ; les dangers que présente le voisinage des machines peuvent être évités par des précautions très simples et très connues. On peut dire que la manufacture, sous la main d’un patron honnête homme, est bienfaisante pour les corps : c’est pour les âmes qu’elle est un danger.


I

Il n’est personne qui n’ait vu filer au rouet ou à la quenouille. L’ouvrière prend du coton bien propre : s’il ne l’était pas, s’il contenait de la poussière et des débris de bois ou d’écorce, il faudrait le battre et l’éplucher avec soin ; elle l’ouvre un peu, pour diminuer la cohésion et le tassement des fibres ; elle le dispose autour de la quenouille de manière à former ce qu’on appelle une poupée. Cela fait, elle prend dans la masse une pincée de fibres qu’elle étend dans le sens de la longueur, sans toutefois les séparer du reste ; puis elle les presse et les arrondit sous ses doigts. Le fil se forme et s’amincit sous cette pression répétée. L’ouvrière l’étire, l’attache au fuseau qu’elle fait tourner rapidement ; ce mouvement de rotation tord le fil et lui donne de la force ; elle l’enroule alors sur le fuseau, et l’opération continue jusqu’à ce que la quenouille soit nue et le fuseau chargé. Voilà ce qu’on appelle filer à la main. La filature mécanique ne fait pas autre chose : sa tâche est de nettoyer, battre, ouvrir le coton, de l’étendre dans le sens de la longueur pour transformer en nappe et en ruban cette masse floconneuse, de l’étirer, l’amincir, la tordre, et finalement de l’enrouler sur une broche pour la livrer ensuite au tissage. Si le nombre des machines qui composent ce qu’on appelle un assortiment de filature est considérable, c’est que plusieurs machines recommencent le même travail sur le même fil, qu’elles conduisent peu à peu au degré de