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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/627

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caravanes à cheval nous croisaient de temps en temps, allant d’un trot égal au marché d’Alajuela, qui se tient le lundi. Des chariots traînés par des bœufs portaient des sacs de riz, de cacao ou de café. Ces chariots étaient très petits, de la forme la plus rudimentaire, et montés sur deux roues formées d’une seule pièce avec un renflement conique au milieu. Je ne devais pas rencontrer d’autre véhicule roulant dans l’Amérique centrale, à l’exception de quelques voitures particulières à San-José et des omnibus du chemin de fer anglais de Punta-Arenas et du transit américain de San-Juan-del-Sur. Les conducteurs de ces équipages primitifs, comme les cavaliers qui laissaient après eux une poussière noirâtre, ne ressemblaient en rien aux paysans de nos campagnes. Uniformément vêtus d’un pantalon blanc, d’une chemise et d’un chapeau de paille, les pieds nus dans leurs étriers, ou chaussés seulement de vieux éperons espagnols, ils donnaient tous l’idée d’une race libre, polie sans obséquiosité et pleinement à son aise. Pas un seul de ces campagnards ne marchait à pied. Tous saluaient l’étranger avec une simplicité digne. De pauvres, de mendians, de ces déshérités si communs sur nos grandes routes à l’approche des villes, je n’en voyais nulle trace. La jeune république ne connaît pas même de nom cette plaie du paupérisme qui nous dévore. Un seul mendiant m’a tendu son bras mutilé dans les rues de San-José. C’était un soldat de la dernière guerre à qui tout travail était désormais interdit, et qui recevait en échange dans chaque maison un accueil fraternel dont il n’usait qu’avec réserve.

Quant aux femmes, le contraste qu’elles offraient avec nos paysannes était plus saisissant encore. La couleur de leur teint, variant du bronze florentin à la pâleur mate du sang espagnol, ne comportait pas cette beauté particulière qui résulte chez nous de la fraîcheur et de la transparence du tissu ; mais combien cette imperfection, si imperfection il y a, était généreusement compensée par l’élégance de la taille, la richesse des épaules et la pureté marmoréenne des attaches des bras ! Leurs traits, toujours réguliers, toujours animés par de beaux yeux noirs et encadrés dans une opulente chevelure, plaisaient assez par la bienveillance qu’ils respiraient pour qu’on ne leur demandât pas plus de finesse.

Je cherchais cependant San-José de tous mes yeux. Je ne l’avais distingué, des hauteurs de la sierra, en descendant le col de Barba, que par la saillie de sa cathédrale, comme j’avais deviné l’emplacement d’Heredia, sur ma gauche, à la masse architecturale d’une belle église ; mais si le premier aspect d’Alajuela m’avait frappé par son étrangeté, la physionomie de San-José devait bien autrement démentir toutes mes suppositions. Nous ne pouvons nous imaginer en France une capitale sans monumens, sans une population activé,