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fois qu’elle fait vibrer une corde sonore, les documens, les publications, les hommes spéciaux, tout un contingent de lumières isolées qui se trouvent tout à coup réunies sous sa main, au grand avantage du public et des solutions désirées. J’eus ainsi l’occasion de tout consulter, de tout approfondir, d’épuiser les précédens, d’aborder successivement toutes les faces de l’opération, d’entrer aussi avant que possible dans cette étude prestigieuse où la passion saisit les plus froids. À mesure que je me plongeais dans cet infini, suivant en même temps les progrès de l’invasion flibustière et témoin de l’indifférence avec laquelle l’Europe laissait s’accomplir au Nicaragua regorgement d’une nation, une pensée se dessinait, grandissait, s’affermissait dans mon esprit de manière à devenir un axiome, à savoir que l’œuvre du canal seule pouvait vaincre cette indifférence, qu’il fallait un intérêt d’un ordre supérieur, tel que la création d’un nouveau bosphore, pour attirer l’attention sur ce coin du monde, et que la délivrance de l’Amérique espagnole, le salut d’une race, d’une nationalité, d’une religion, d’une civilisation plus morale que celle des États-Unis, étaient subordonnés au percement de l’isthme américain. C’est ainsi que, malgré moi et par la force des choses, le problème politique s’est trouvé soudé au problème industriel. J’ai voulu plus tard les disjoindre pour échapper aux rivalités nationales. J’ai voulu faire de la création du canal, par le texte même de la convention de Rivas, un terrain neutre, une affaire privée, où tous les concours fussent admis sans distinction de nationalités. Vains efforts ! les États-Unis ne m’ont jamais pardonné d’avoir provoqué une intervention de l’Europe dans les Amériques, et le débordement d’outrages et de calomnies de leurs journaux a rendu presque impossible l’entente loyale que j’avais préparée, sur les bases du traité Clayton-Bulwer, entre toutes les grandes nations commerçantes du globe.

Jusque-là cependant mon impuissance financière me semblait un empêchement radical, lorsqu’un incident fortuit vint ajouter une garantie matérielle à tous les élémens moraux que je possédais déjà. Il y avait alors à Paris, en pleine faveur auprès du public, une banque de crédit industriel, disparue depuis dans un orage, qui, examinée théoriquement, présentait de grandes conditions de stabilité, et disposait, par le jeu même de son institution, de l’immense marché de nos provinces. Cette banque avait prouvé sa puissance par plusieurs grandes créations en Espagne et en Portugal, créations qui ont survécu à sa chute, et elle avait semé la France de caisses d’escompte qui fonctionnent encore. Je fus mis en rapport avec le chef et l’organisateur de ce rouage financier, et lui proposai de devenir le pivot et le garant de l’entreprise que je méditais. J’avais apporté un dossier suffisant de documens et de cartes. Je m’appuyais