Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/633

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rieure, sur laquelle s’ouvraient tous les ministères et toutes les administrations, y compris la cour suprême de justice et le tribunal de première instance. Rien de plus simple et de plus commode que cette distribution. Le chef du gouvernement avait ainsi sous la main tous les rouages nécessaires à l’exercice de son pouvoir ; ses trois ministres venaient tour à tour conférer avec lui, selon les nécessités du service. Pas une minute n’était perdue en échanges de communications écrites, pas une issue n’était ouverte à la bureaucratie, ce ver rongeur des sociétés européennes. Toute affaire purement administrative était examinée, décidée et expédiée séance tenante.

Le président n’occupait qu’une seule pièce du palais, celle du milieu, dont la large fenêtre cintrée, à balcon vénitien, surplombait la porte d’entrée. Ce fut là qu’on nous conduisit avec un cérémonial très empressé, mais très modeste. M. Mora paraissait à peine âgé de trente-six ans. De petite taille, la figure pleine, fraîche et agréable, l’air très doux et presque timide, il portait un simple habit noir, sans aucune marque distinctive, quoiqu’il fût revêtu de la dignité espagnole de capitaine-général, dernier reste des traditions de la conquête. L’exposé de mes projets, que M. de Vars traduisit avec une remarquable clarté au président, remplit cette première audience. Je rappelai au président la lettre que je lui avais adressée six mois auparavant, dans l’espoir, légitime alors, d’une prompte réalisation ; j’indiquai les obstacles qui l’avaient empêchée, et les nouveaux engagemens qu’il avait fallu prendre depuis cette époque. Plein de confiance cette fois, je venais lui faire connaître l’ensemble des desseins que m’avait inspirés mon dévouement à son pays, et lui demander son concours pour la réalisation d’une entreprise qui ajouterait à sa gloire.

Cette entreprise, M. Mora la connaissait mieux que personne : c’était celle à laquelle le prince Louis-Napoléon avait voulu attacher son nom en 1846. Il ne m’était pas permis de douter de tout l’intérêt que prendrait l’empereur Napoléon III à une œuvre qui continuait la sienne ; j’en avais pour preuve l’encouragement qu’il avait donné à Londres en 1853 à une compagnie anglaise qui se proposait d’unir les deux Océans par l’Atrato[1]. La tentative n’avait pas abouti. Les études des ingénieurs avaient confirmé l’impraticabilité

  1. Voici les paroles prononcées à cette occasion, en réponse à une députation présidée par M. Charles Fox : « J’ai appris, messieurs, avec le plus vif intérêt la nouvelle de la formation d’une compagnie importante pour la réunion des deux Océans. Je ne doute pas que vous ne réussissiez dans cette entreprise, qui doit rendre de si grands services au commerce du monde entier, puisque la compagnie compte à sa tête des hommes si distingués. J’apprécie depuis longtemps tous les avantages de la réunion des deux mers, car, étant en Angleterre, j’ai taché d’attirer sur ce sujet l’attention des hommes de science. Vous pouvez donc être assurés, messieurs, que vous trouverez en moi tout l’appui que méritent de si nobles efforts. »