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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/639

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On n’est pas éclairé davantage sur la date et la durée de ces immenses révolutions : on s’aperçoit bien qu’il a fallu pour les accomplir un temps fort long, on reconnaît que de nombreuses générations d’êtres se sont succédé ; mais il manque un étalon chronologique. On entasse des milliers, des myriades d’années pour n’arriver qu’à des évaluations vagues et flottantes. On s’efforce de tirer des inductions du temps que mettent, depuis un petit nombre de siècles, les dépôts d’alluvions à s’élever de quelques centimètres, les côtes de divers pays à grandir d’une certaine hauteur ; mais on n’est point assuré que les causes qui agissent aujourd’hui agissaient seules dans le principe, ou que d’autres, aujourd’hui inconnues, ne se produisaient point alors. Ces causes fussent-elles demeurées les mêmes (ce que la science est conduite à supposer, tant par l’étude des faits que par la considération de la permanence des lois de la nature), ne doit-on point admettre que l’intensité en a singulièrement décru, et les mesures actuelles sont-elles applicables aux périodes passées ? N’ignore-t-on pas ce que furent à chaque époque la masse des matières terreuses en suspension dans les eaux, la rapidité et les directions des courans, le chiffre des animaux marins ou fluviatiles dont les dépouilles, en se décomposant, ont donné naissance à des accumulations de calcaire que nous mesurons à peine, l’énergie des volcans qui versaient leur lave sur le sol, et l’action qu’exerçaient sur la vie animale des climats dont rien n’indique exactement la durée ?

Tout encore est mystère et ténèbres. Cependant on aspire plus que jamais à sortir de ces incertitudes. La curiosité s’impatiente de voir que la géologie reste muette, et elle fait appel à d’autres sciences, à l’astronomie, à la physique générale, à la météorologie, à l’hydrographie, pour avoir des réponses plus catégoriques et des données moins confuses. Cette impatience, nous en trouvons les symptômes dans les nombreuses publications faites depuis quelques années sur le déluge considéré comme phénomène cosmique, comme le résultat des causes générales qui régissent l’univers. Plusieurs de ces ouvrages dénotent du savoir et une assez grande originalité de vues : les opinions qui y sont développées ont quelque chose de spécieux et de séduisant. Je vais essayer d’exposer les idées que ces livres ont mises en circulation, non pour les juger (une sentence en dernier ressort n’est pas encore possible), mais afin de montrer dans quelle voie la question des cataclysmes, une des plus importantes de la géologie, tend aujourd’hui à entrer. Je veux aussi rechercher la part que l’histoire réclame dans le contrôle de ces théories, qui intéressent toute l’humanité, car il ne s’agit pas seulement du passé de notre globe, mais de l’avenir qui lui est réservé.