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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/680

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du fabuleux basilic : celui sur qui se fixe ce regard ne peut faire un pas ni proférer un cri ; ses pieds sont cloués au sol, son sang est glacé, sa langue paralysée.

Cette impression de froid et de tristesse est d’autant plus puissante, que l’amertume d’Hawthorne est sans mélange, et que sa mauvaise opinion de l’homme est sans compensation. Hawthorne est un pessimiste déterminé et convaincu. Les modernes hégéliens vous apprendront, si vous y tenez, que le mal n’est qu’une forme inférieure du bien ; mais lui, Hawthorne, va beaucoup plus loin, et retournerait ainsi la proposition : le bien accompli par l’homme n’est qu’une forme supérieure du mal. Les grands sentimens optimistes, la foi, l’espérance, la charité, n’existent pas chez lui, ou plutôt, ce qui est pis, ils n’y existent qu’à l’état de fantômes. L’impitoyable analyse a tué en lui la fibre sympathique. Quand il sort de la sombre caverne du cœur humain, il passe dans une sorte de région vague et abstraite, éclairée par un soleil glacé sous lequel on voit les bons instincts et les nobles sentimens se traîner grelottans, hâves et débiles comme des malades et des vieillards qui cherchent avec avidité les rayons du pâle soleil de novembre. Mais que cette lumière est peu faite pour échauffer, et que ces sentimens paraissent vieux ! Ils vont mourir sans doute, et leurs jours sont comptés. On s’écarte en les voyant passer, moins par respect que par un mouvement de tristesse involontaire. Eh quoi ! ce sont là ces grands sentimens, orgueil légitime de l’homme, vers lesquels nous allons, dans nos momens de doute et de détresse, pour trouver appui et consolation ! Ce sont eux vraiment qui auraient besoin d’être soutenus et consolés. Si vous allez demander des consolations à la religion, peut-être bien sortirez-vous de chez elle avec un surcroît de désespoir. Ce n’est pas précisément la bonne nourrice que vous imaginiez ; c’est une vieille fille, sèche, acariâtre, sans amour, qui trouvera moyen de vous blesser cruellement. L’entendez-vous dire de sa voix à la fois aigre et doucereuse : « Te voilà donc, enfant pervers, être né du péché ? Va, va, sois sans inquiétude, et repose-toi sur la justice de Dieu ; quand nous aurons quitté cette vallée de larmes, nous serons tous damnés. » Quel accueil cordial ! Vous ferez bien, si vous êtes sages, de ne pas vous fier à l’espérance ; c’est une folle assez aimable en apparence, très dangereuse en réalité, qui vous entraînera avec elle, non pas à la poursuite des papillons dans les blés, mais à la poursuite des feux follets dans les cimetières jusqu’à ce que vous soyez tombé dans quelque fosse creusée d’avance par un fossoyeur prévoyant et laborieux qui n’aime pas à être pris au dépourvu par les morts qu’on n’attendait pas. N’approchez pas de l’amitié, elle est lunatique, et elle a la déplorable habitude de mordre ; ses morsures sont en général sans danger, cependant on en a vu qui