Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/690

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ombres l’enveloppent comme des ténèbres réelles ; il l’assiège de craintes, et ces craintes équivalent à la réalité du péril et du danger.

Nous n’avons pas à nous occuper en détail de chacun des écrits d’Hawthorne. Nous avons accompli cette tâche autrefois pour les lecteurs de la Revue[1], et nous avions été précédé dans, cette voie par un spirituel critique[2]. Le but que nous nous sommes proposé aujourd’hui en reprenant pour la seconde fois les écrits d’Hawthorne a été non de les faire connaître, mais de les faire comprendre et sentir. Nous avons voulu en faire non plus une analyse et une dissection, mais pour ainsi dire une distillation ; nous ayons voulu en extraire l’essence et l’arôme, c’est-à-dire ce qui en est le principe et l’âme. Si nous réussissons, à imprégner l’esprit de notre lecteur de ce parfum énervant et à lui faire apprécier la saveur particulière de cette liqueur amère, si, en un mot, nous lui procurons la sensation exacte de ce talent original, notre but aura été atteint.

Malgré notre estime et même notre admiration pour le talent d’Hawthorne, il s’en faut de beaucoup que tous ses écrits aient pour nous la même valeur. Le talent d’Hawthorne est très inégal, et cette inégalité a un caractère qui mérite d’être signalé. Ce talent n’est pas inégal dans son allure, car il marche toujours du même pas, au petit trot, avec une sorte de vivacité froide, et sûre d’elle-même : ce qui est inégal en lui, c’est sa physionomie, qui est variable comme la beauté de ces visages qui ont leurs jours, comme on dit vulgairement. Il y a donc des pages entières où cette physionomie est insupportable et même ennuyeuse à regarder, et où le charme de tristesse qui l’anime a disparu.

Nous n’aimons pas beaucoup Hawthorne par exemple dans les écrits où l’allégorie est intellectuelle ou esthétique, plutôt que morale, lorsqu’elle est une allégorie de la pensée plutôt qu’une allégorie du cœur. Alors il est non-seulement froid, mais compassé, d’une subtilité sèche et légèrement artificiel. Nous ne l’aimons pas davantage lorsqu’il essaie d’exprimer des sentimens relativement heureux ; je dis relativement, car le bonheur n’est jamais chez lui qu’une nuance éteinte composée de deux couleurs tristes, au lieu d’être ce qu’elle est pour tout le monde, une couleur absolument gaie, opposée d’une manière tranchée à une couleur absolument sombre. Ainsi nous verrions disparaître sans regret celui de ses romans qui est intitulé la Maison aux sept pignons (the House of the seven gables). De ce roman nous n’aimons que la première partie, où il a fait résonner la gamme qui lui est particulière, celle du malheur et de l’abandon. Comme il a bien décrit les petits tremblemens de l’âme de la vieille miss Hepzibah Pyncheon, noble fille d’Amérique autant que fille

  1. Voyez la livraison du {{1er décembre 1852.
  2. M. Forgues, Revue du 15 avril 1852.