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réunir pour vous communiquer ce qui est nécessaire au bien de ces royaumes. Voyant ce qui se passe, il lui paraît qu’il n’y a plus lieu de retenir ici vos seigneuries, et que chacun peut retourner à sa maison. » Comme s’il n’avait pas tout dit, l’archevêque s’arrêta, puis reprit : « N’ai-je rien oublié ? — Non, vraiment, répondirent le connétable de Castille et le duc de Najera, votre seigneurie a si bien fait, qu’elle n’a rien oublié. » Effectivement, il n’y avait plus rien à faire. Ce fut le Villalar de la grandesse espagnole, suite du Villalar populaire. Par un subtil calcul de despote, Charles, après s’être servi des grands contre les comuneros, crut plaire au peuple en abattant les grands.

Ainsi s’accomplit cette radicale et profonde subversion, dont le germe est dans l’avènement de l’idée impériale, et que la guerre des comuneros laisse entrevoir dans un déchirement violent. Le peuple abattu, la noblesse déprimée, ainsi que le fait remarquer M. Ferrer del Rio, Charles-Quint pouvait faire servir à sa gloire personnelle ou à ses desseins la vie et la fortune de ces classes également dépendantes. Ce n’étaient ni les nécessités de sa situation géographique, ni les conditions permanentes de son existence, ni des avantages accidentels, qui poussaient l’Espagne dans cette série de luttes où elle se trouva dès lors engagée. Qu’elle se battît contre les Turcs sur le Danube, qu’elle disputât l’Italie ou la Flandre aux Français, c’était un intérêt de l’empire et des Habsbourg qu’elle défendait, non un intérêt espagnol. Dans ce duel terrible de la France et de la maison d’Autriche qui s’est précisé à cette époque, qui a fait surgir tout armée la politique de Henri IV, de Richelieu, de Louis XIV, et qui s’est perpétué si longtemps, l’Espagne n’avait réellement rien à voir ; sa vraie politique eût été de vivre en paix avec la France. Lorsque Charles-Quint, au moment de marier une seconde fois son fils Philippe II, abandonnait tout à coup un projet d’alliance avec une infante de Portugal pour se tourner vers la reine Marie d’Angleterre, il n’avait d’autre pensée que de grandir encore la fortune et le pouvoir de sa maison, tandis que l’intérêt de l’Espagne eût été dans le mariage portugais. Philippe II, quoique plus Espagnol que son père, ne fait que modifier l’idée impériale, en colorant de religion ses vues dominatrices. Et quand cette politique, de désastre en désastre, est arrivée au bout, l’Espagne se bat encore pour défendre les états héréditaires de la maison de Habsbourg, au moment où elle est elle-même épuisée et menacée. Elle est partout pendant deux siècles, toujours en avant dans l’action, sans être engagée par ses intérêts. Son or est prodigué pour servir des desseins qui n’ont rien de commun avec sa vraie grandeur ; ses armées se répandent sur le continent pour soutenir des querelles qui ne sont pas les siennes,