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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/720

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grand ! » Je ne sais si on a lu un livre curieux écrit au XVIIe siècle par un contemporain de ces règnes, don Luis Cabrera de Cordoba, et publié il y a quelque temps à Madrid sous le titre de Relation des choses arrivées à la cour d’Espagne de 1599 à 1614. C’est l’histoire du vide, de la décrépitude figée dans l’étiquette au milieu d’une nation dont chaque jour hâtait la décomposition et la ruine.

La perspective incessante de guerres lointaines, la facilité d’émigrer aux Indes, enflammaient l’esprit d’aventure et engendraient le mépris du travail en dépeuplant le pays. La nécessité de recourir toujours à de nouveaux impôts, multipliés sous toutes les formes, avait pour résultat d’affamer les campagnes en tarissant les sources de l’agriculture et de l’industrie. De là cet état singulier d’un pays où l’action d’une fausse politique donnait des ailes à toutes les causes de décadence, où pour échapper aux taxes on fondait des majorats, où pour se garantir de la faim on s’enrôlait dans les innombrables légions monastiques, et où tous ceux enfin à qui il ne restait plus d’autre ressource étaient du moins assurés de trouver une rame sur les galères de Gênes, un mousquet dans les tercios de Flandre ou un morceau de pain à la porte d’un couvent. Il y eut un moment où la misère fut telle que des campagnes entières restaient sans habitans et sans culture. « Si le mal continue, disaient les cortès de Madrid dans leurs impuissantes doléances, si l’on n’y porte un remède efficace, il est impossible que ce royaume dure un siècle. » Une année, en Galice, à Santiago, quinze cents personnes moururent de faim. Ainsi l’Espagne perdait toutes ses conquêtes au dehors sans recouvrer ses libertés, et en marchant grand train dans cette voie de la ruine matérielle.

Le dernier mot de cette décadence fut le règne de Charles II. Ce triste prince, avec son visage pâle où passaient les reflets de la mort, avec ses membres noués et sa sénilité précoce, est bien la fidèle image d’une monarchie épuisée. On le crut atteint de maléfices et on le martyrisa d’exorcismes ; il a gardé dans l’histoire le nom de el heckizado, l’ensorcelé. Le seul maléfice diabolique était le poids d’un siècle et demi d’erreurs qui s’engendraient les unes les autres. Ce roi sans virilité, défaillant de cœur et d’esprit aussi bien que de corps, sentait son mal et le mal du pays sans pouvoir les guérir. Les ministres se succédaient, on recourait à tous les expédiens, on vendait les titres de Castille et les grandesses d’Espagne, on eut même un jour l’étrange idée de livrer au clergé l’administration publique et de confier les finances, la guerre, la marine aux chapitres de Tolède, de Séville et de Malaga. Les places fortes étaient démantelées, l’armée atteignait à peine à vingt mille hommes mal disciplinés et demi-nus ; toute la marine espagnole se composait de treize galères,