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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/723

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j’aime sans comparaison mieux y périr en disputant le terrain pied à pied à la tête de mes troupes que de prendre un parti qui ternirait la gloire de notre maison. » Celui qui parlait ainsi ne sentait pas seulement frémir en lui l’orgueil du sang et de la jeunesse, il personnifiait en ce moment l’indépendance de la nation espagnole.

Ce que ces princes de Bourbon portaient au-delà des Pyrénées, ce n’était pas assurément la liberté par la résurrection des vieilles institutions populaires de la Péninsule, pas plus que la liberté telle qu’elle est née plus tard d’un autre ébranlement national ; mais ils portaient cet instinct d’une royauté réparatrice qui faisait leur force et qui était en quelque sorte leur légitimité morale, le stimulant rénovateur et la netteté lumineuse des idées françaises, l’esprit d’ordre administratif, d’activité et d’investigation. Tout était à faire, même une statistique du pays ; tout ne fut pas fait, mais tout fut essayé. Un homme d’une vigoureuse intelligence politique, qui fut plus longtemps en exil qu’au pouvoir et qui était écouté même dans la disgrâce, Macanaz, traçait dès l’origine le programme de ces règnes : renfermer le pouvoir religieux dans le domaine des choses spirituelles, rendre à la puissance civile les attributions, les propriétés et les droits aliénés, diminuer le nombre des couvens et des ordres monastiques, substituer à une législation confuse des lois claires et précises, replacer la source de la richesse dans le développement de l’agriculture et de l’industrie, non dans l’abondance de l’or, comme on l’avait fait jusque-là, négocier des traités de commerce, coordonner les finances, relever le travail. Et réellement c’était la pensée de ces règnes commerçans. Au lendemain même de la guerre de la succession, cette armée déguenillée de vingt mille hommes des rois autrichiens était déjà devenue une armée de cent vingt bataillons et de cent trois escadrons disciplinés et aguerris. Au lieu d’une douzaine de galères hors de service, il y eut tout d’abord une escadre de vingt navires de guerre. L’agriculture et l’industrie se ranimèrent. Le Français Orry mit la lumière dans les finances. La perception des impôts au nom de l’état remplaça les vexations arbitraires des fermiers, et dès lors surgit une question d’avenir, celle de la substitution d’une contribution unique à la multiplicité des impôts. Les finances accrues servirent à des travaux de toute sorte. Et c’est ainsi que l’Espagne devenait en peu de temps la nation qui rentrait dans l’arène des luttes européennes, guidée par l’esprit entreprenant d’Alberoni, poussée par l’ambition maternelle de la seconde femme de Philippe V, l’Italienne Elisabeth Farnèse, qui cherchait partout des trônes pour ses enfans.

Une chose curieuse dans cette alliance de la dynastie nouvelle et de la vieille Espagne, c’est l’espèce de drame secret et indéfinissable