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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/731

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conseil de Castille. Il fit partir de Madrid cet évêque don Diego de Rojas, qui lui avait adressé un mémoire ridicule au nom du peuple ; il le renvoya à son évêché, à Carthagène, et il appela à la présidence du conseil le comte d’Aranda, qui, après avoir été ambassadeur en Pologne, avait été laissé comme capitaine-général à Valence dans une sorte d’exil. C’était un gentilhomme aragonais impétueux et d’humeur libre, soldat, diplomate et philosophe. Il alliait à la fierté d’un vieux sang un très vif instinct des mouvemens de son époque. C’est lui qui disait quelques années plus tard, en voyant naître la république des États-Unis : « Cette république est née pygmée ; il lui a fallu l’appui et les forces de la France et de l’Espagne pour parvenir à l’indépendance. Un jour viendra où elle sera géant, colosse même redoutable dans ces contrées. » Aranda se jeta sur le pouvoir avec tout le feu d’une nature vigoureuse. Il pacifia rapidement Madrid. Rude et familier à la fois, il faisait marcher ce peuple insurgé de la veille en usant avec lui d’un singulier mélange de hauteur et de bonhomie. « Le comte d’Aranda est une grande tête, disait-on ; il fait justice sans acception de personnes. » À dater de ce moment, le règne de Charles III sort du nuage et donne à l’Espagne le lustre d’une sorte de renaissance.

Ce XVIIIe siècle espagnol que Charles III représente en son plus beau moment, et dont M. Ferrer del Rio retrace le vivant tableau, a un caractère particulier dans l’histoire. Né du même mouvement d’idées, il ne ressemble pas au XVIIIe siècle français pour la hardiesse agressive et violente ; il le côtoie sans s’y confondre, et surtout sans arriver à la nette et formidable question de l’abbé Sieyès. Différente de la France, l’Espagne du XVIIIe siècle s’avançait dans une voie qui avait commencé par ces temps d’abattement où l’on disait qu’on ne savait de quel côté de l’horizon viendrait le jour, et qui conduisait à une lumière relative et tempérée. L’Espagne vit alors ses alliances recherchées, ses finances refleurir au point de faire face aux dettes de l’époque autrichienne, sa marine redevenir puissante et compter plus de soixante vaisseaux de guerre, son commerce et son industrie retrouver une activité nouvelle, l’énergie intellectuelle se réveiller. Au centre de ce mouvement est Charles III qui le protège, s’il ne le dirige pas. Il aimait la lumière et tout ce qui sert à la répandre, au point d’exempter du service militaire les imprimeurs eux-mêmes. Il poussait à l’étude de tous les problèmes d’économie publique, et mettait un zèle singulier à faire pénétrer un esprit de réparation et d’activité dans les détails de l’administration. Ce règne ne finit qu’en 1788, à la veille de la révolution française, par la mort du roi ; mais alors on vit un phénomène étrange : tout ce mouvement suscité et soutenu par Charles III sembla s’arrê