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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/815

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la hardiesse même de l’entreprise ? Il y avait donc, comme on dit, quelque chose dans l’air ; il y avait une influence générale qui développait dans les esprits une fermentation secrète au sein même de la foi la plus résolue. Remarquons en outre que c’est exclusivement dans les âmes catholiques qu’une telle lutte s’est engagée avec toute son énergie. Le catholicisme prend nos facultés par tant de côtés, que le doute y devient plus douloureux qu’ailleurs. Les autres confessions chrétiennes, flottantes dans la latitude laissée aux pensées, et sans discipline dogmatique, échappent à ces fécondes révoltes en accordant tout. Il n’y a de grandes luttes qu’entre les grandes forces. Ce serait donc une curieuse analyse que celle de cette situation et de ses péripéties dans une âme capable de les sentir jusqu’au fond ; et si, parmi les hommes que le problème de la croyance a bouleversés, quelques-uns, pénétrant dans leurs plus intimes souvenirs, décrivaient avec une entière sincérité leurs premiers troubles, leurs efforts vers la vérité, et les motifs de leur détermination dernière, ceux-là écriraient les vrais mémoires du siècle, car là est le dernier fond de la révolution de notre époque. Jouffroy et quelques autres en ont tracé l’esquisse, mais la racine chez eux n’était point assez profonde, et dans leur milieu philosophique ils ne ressentaient pas suffisamment la tension et la multiplicité des liens religieux. Il eût fallu qu’un prêtre comme Lamennais, un lutteur théologique, longtemps submergé sous l’afflux journalier des affections pieuses, et néanmoins tourmenté du besoin de clarté intellectuelle, racontât cette histoire, qui se passe autant et plus encore dans le cœur que dans l’esprit : il n’en a rien fait. Ses lettres, publiées récemment par M. Forgues, jettent beaucoup de lumière sur le caractère de l’homme durant l’époque bruyante de sa vie ; sa biographie, écrite par son neveu, M. Blaize, contient quelques détails importans sur sa jeunesse : rien n’y éclaire assez ce moment décisif où l’intelligence, formée par la tradition, se replie sur celle-ci pour la première fois, et commence à l’examiner avec inquiétude ; moment redoutable, où la révolution élève dans l’âme croyante son premier murmure, comme un écho de celle qui bruit au dehors. Néanmoins, si le détail nous manque, le résultat essentiel ne nous échappera point pour cela ; tout en profitant de ces documens incomplets, nous chercherons l’homme tout entier dans le sens général de ses écrits, et nous l’y trouverons : là sera notre source la plus abondante et la plus sûre. Nous découvrirons le dualisme de pensée qui fut le principe de son trouble secret et la source de son inspiration cachée. Nous examinerons attentivement, dans son œuvre totale, le motif qui la fit entreprendre, l’enchaînement de ses parties et la signification du tout. Il est bien entendu que nous ne voulons parler ici que de l’œuvre catholique de Lamennais, ou qu’il croyait telle, la seule qui ait de l’importance