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l’effet que ce souvenir des catacombes dut produire sur un caractère comme le sien, si prompt aux images funèbres, si rebelle devant les abus de la force. De bonne heure il perdit sa mère, mais une tante pieuse et d’un esprit distingué lui en tint lieu. Ensuite un oncle, homme instruit, traducteur d’Horace et du Livre de Job, ennemi des philosophes et de la révolution, dirigea ses premières études littéraires dans la solitude de La Chesnaie, au bord d’une forêt, au milieu de cette poésie abondante, mais triste de la Bretagne, qui ne paraît point l’avoir inspiré à cet âge, et qui ne s’épanouit en lui qu’au déclin même de la maturité, dans les meilleures pages, des Paroles d’un Croyant. Sous la direction de cet oncle, il cultiva avec zèle les lettres anciennes et la littérature sacrée. Il était tout naturel que dans une telle vie les questions religieuses s’emparassent bientôt de son esprit. S’il y eut dès lors quelques ébranlemens dans la pensée et quelques troubles dans la pratique, il se fortifiait des conseils et surtout des exemples de son frère Jean, si connu par son zèle et par ses institutions d’éducation populaire. Déjà même en 1808, à vingt-six ans, au moment où Napoléon se préparait à porter les derniers coups à la papauté, il publiait des Réflexions sur l’état de l’église, qui eurent l’honneur, assez commun d’ailleurs en ce temps-là, d’être supprimées par la police. Ainsi l’on voit dès lors poindre les idées, les tendances, les préoccupations, les hardiesses qui vont signaler sa vie. De tout cela pouvait sortir aisément et sortit en effet la pensée de se consacrer à l’état ecclésiastique. L’insuffisance du débris de la fortune paternelle qui lui était échu, la faiblesse de son tempérament, qui ne lui permettait guère une vie plus active, ont pu ajouter quelques motifs de plus à cette résolution ; mais quand on songe à la hauteur, à la sincérité évidente, à l’entraînement du prosélytisme qui n’a cessé depuis de le tenir en haleine, il est impossible de chercher des causes infimes au dangereux parti qu’il embrassa, et si, dès les premiers pas vers les ordres sacrés, de certains doutes mal définis encore, et qui auraient peut-être dû l’arrêter, se déclarèrent dans sa conscience, c’était le commencement de la fermentation qui devait s’opérer en lui, et dont il pouvait lui-même, moins que personne, apercevoir la nature et les suites.

C’est en 1812 en effet, année où il reçut les ordres mineurs, que nous découvrons les plus anciennes traces d’une longue agitation, d’une tristesse invincible, dont quelques passages des correspondances, trop rares pour cette époque, nous laisseront entrevoir le caractère. « Je crains, lui écrivait alors un vénérable prêtre de Saint-Sulpice, que vous ne vous livriez trop à une certaine mélancolie qui vous dévore… » Aux cent jours, il se résolut inopinément à émigrer. Il semble qu’il ait voulu alors abandonner la théologie pour le commerce. « Ma santé, écrit-il à une de ses parentes, ne s’altère pas