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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/830

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pères. Il y a une tradition pour la controverse aussi bien que pour le dogme, et si celle-là est moins sacrée, il est à coup sûr téméraire de troubler les esprits en la déclarant dégénérée et impuissante. Si, comme vous le prétendez, tout ce qui s’est dit jusqu’ici pour démontrer l’authenticité, la vérité, l’autorité des saints livres n’est que sophismes et assertions vagues, arbitraires et vaines, plus propres à faire de nouveaux incrédules qu’à ramener à la croyance, nos pères n’ont donc assis leur foi que sur des chimères et des illusions ! Tant de grands hommes qui, depuis Justin, Irénée, Origène, saint Augustin, ont cru, enseigné et parlé à la raison dans l’église, n’ont donc pas connu les vrais motifs de croire ! La vraie preuve du christianisme datera de votre livre, qui n’est pas achevé encore, et jusqu’à vous toute l’église était suspendue et flottait comme un rêve dans l’imagination des peuples ! Leur foi n’a pas été raisonnable, car enfin, si leurs raisons étaient bonnes, pourquoi ne le seraient-elles plus aujourd’hui ? N’étaient-elles donc que des argumens oratoires saisissant l’auditeur par ses passions, ses préjugés et son ignorance même ? La religion est un fait ; un fait une fois valablement prouvé l’est pour toujours ; venir maintenant retirer la preuve, c’est retirer le fait du même coup. En ruinant avec tant d’audace imprudente, et pour la puérile vanité de créer un système nouveau de philosophie, les longs et laborieux efforts de nos docteurs, vous donnez pour tout le passé, c’est-à-dire pour dix-huit siècles, gain de cause à nos adversaires. Comment comblerez-vous cette immense lacune creusée par vous-même derrière nous ? Comment renouer la chaîne rompue entre nous et le Calvaire ?

Répondre cette fois n’était pas pour Lamennais chose facile. Sa foi, à laquelle il était parvenu par sa voie propre, était en quelque sorte atteinte, son caractère de prêtre presque compromis. Il avait pourtant essayé dans le même livre de repousser ces attaques. Il avait protesté contre l’imputation de puérile vanité philosophique, de mépris pour les vieux apologistes ; il avait même annoncé l’intention de publier une collection de leurs ouvrages, et plus tard, dans le quatrième volume, il remania en effet ces anciennes preuves qu’il avait déclarées non-seulement inutiles, mais nuisibles ; il reprit ces lieux-communs qu’il savait ne plus répondre à rien : seulement à chaque page on sent trop que c’est une concession forcément accordée aux alarmes des fidèles, tant la verve accoutumée y est éteinte. Toutefois il fallait une justification immédiate et directe, et il l’essaie ; mais combien vague et contradictoire ! On en jugera. « Nous avons déclaré déjà, dit-il, et puisqu’on a rendu cette protestation nécessaire, nous déclarons de nouveau que personne au monde n’est plus convaincu que nous de la solidité des preuves qu’emploient les apologistes de la religion chrétienne. Nous sommes donc