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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/836

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les plus obscures du moi, où l’intelligence ne s est fixée que par le parti-pris, qu’on saute quelques années, et qu’on lise dans une autre lettre à la même comtesse de Senfft la contre-partie de toutes ces aspirations pieuses, de toutes ces saintes ambitions. Cette Rome où Lamennais aurait voulu se fixer en 1824, « non-seulement à cause du climat, mais surtout à cause des hommes, » et d’où le devoir seul a pu l’arracher, sous quelle nouvelle image s’offre-t-elle à son indignation, du moment qu’un pape a prétendu être souverain pour son propre compte et non pour le sien ! Et combien a dû trembler cette pauvre vieille amie, lorsqu’elle a lu, à la date du {{1er novembre 1832, cette effrayante rétractation de l’apôtre déçu, du père de l’église retourné contre l’église : « Le catholicisme était ma vie, parce qu’il est celle de l’humanité ; je voulais le défendre, je voulais le soulever de l’abîme où il va s’enfonçant chaque jour : rien n’était plus facile. Les évêques ont trouvé que cela ne leur convenait pas. Restait Rome ; j’y suis allé, et j’ai vu là le plus infâme cloaque qui ait jamais souillé des regards humains. L’égout gigantesque des Tarquins serait trop étroit pour donner passage à tant d’immondices. Là, nul autre Dieu que l’intérêt ; on y vendrait les peuples, on y vendrait le genre humain, on y vendrait les trois personnes de la sainte Trinité, l’une après l’autre, ou toutes ensemble, pour un coin de terre, ou pour quelques piastres. J’ai vu cela, et je me suis dit : Ce mal est au-dessus de la puissance de l’homme, et j’ai détourné les yeux avec dégoût et avec effroi. Ne vous perdez point dans les stériles et ridicules spéculations de la politique du moment. Ce qui se prépare, ce n’est aucun de ces changemens qui finissent par des transactions, et que des traités règlent, mais un bouleversement total du monde, une transformation complète et universelle de la société. Adieu le passé, adieu pour jamais ! Il n’en subsistera rien. Le jour de la justice est venu, jour terrible, où il sera rendu à chacun selon ses œuvres, mais jour de gloire pour Dieu, qui reprendra les rênes du monde, et jour d’espérance pour le genre humain, qui, sous l’empire du seul vrai roi, recommencera de nouvelles et plus belles destinées. »

L’étonnement de cette brusque volte-face cessera, si l’on se rappelle les circonstances du trajet qu’il a parcouru et que nous avons essayé de décrire. Saisi, à une certaine époque de sa vie, d’un doute, ou peut-être d’une véritable incrédulité, mais dominé en même temps d’un besoin de croire pour agir, il a voulu à tout prix sortir par une voie droite et courte de cet abîme. Nourri de piété et de foi, il n’a pu, sans frémir, voir, comme dit le poète de Rolla, Voltaire sorti de sa tombe secouer en ricanant, au milieu même du sanctuaire où son enfance avait tant prié, l’arbre vénéré de la croix, pour en faire tomber le Christ ainsi qu’un fruit mûr en qui la