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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/839

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battre, s’il rencontrait les naughty Frenchmen, avec lesquels la république américaine était alors en état d’hostilité régulière. L’incident se présenta. Un navire français, la Bellone de Bordeaux, donna la chasse au Washington et le rejoignit. On échangea des boulets et même des coups de fusil. Les femmes, les enfans des passagers étaient à fond de cale. Les passagers eux-mêmes avaient pris les armes, et ceux qui ne pouvaient combattre fabriquaient des cartouches. Les boulets ramés, la mitraille, arrivaient dans les agrès du navire américain, et faillirent le désemparer ; mais ses coups, mieux dirigés, frappaient la coque du bâtiment français, et lui causaient de plus sérieuses avaries. La Bellone dut bientôt s’éloigner, quitte à recommencer plus tard le combat. En effet, elle revint à la charge, mais sans plus de succès que la première fois. Après ce double duel, le Washington, qui avait lui-même beaucoup souffert, dut renoncer à continuer sa route, certain d’être pris s’il rencontrait un nouvel adversaire. Il lui fallut relâcher à Lisbonne, où cinq mois d’hiver (du {{1er novembre 1799 au 31 mars 1800), plus une dépense d’environ 12,000 liv. sterl. (300,000 fr.), ne furent pas de trop pour lui permettre de reprendre la mer.

Pendant le combat dont nous venons de raconter brièvement les péripéties, le jeune Robert Leslie était réfugié dans les profondeurs du navire, où, se croyant tout à fait en sûreté, il s’amusait assez de l’agitation répandue autour de lui. Les allées et venues du steward, qui apportait à chaque instant des rafraîchissemens et des nouvelles, l’aventure d’un beau chien de Terre-Neuve qui se cassa une patte en sautant de canon en canon, certains cris de blessés qui lui rappelaient un morceau de musique très populaire à cette époque (la bataille de Prague), tels furent les plus clairs souvenirs que lui laissa cette journée, celle de toute sa vie où très certainement il courut le plus de hasards. Il se rappelait pourtant aussi l’émotion qu’il éprouva quand il vit, roulé dans un étroit linceul, un cadavre qu’on allait lancer à la mer. L’image de la mort se dressait ainsi pour la première fois devant ses yeux étonnés.

De retour en Amérique, la famille Leslie n’y prospéra guère. Le défunt associé avait laissé les affaires communes en mauvais état. Ses héritiers intentèrent un procès ruineux. Les dernières années de M. Leslie père se consumaient dans ces luttes et ces soucis. En 1804, il succomba sous le faix, laissant à son jeune fils la vague ressouvenance d’un homme excellent, d’humeur toujours égale, n’ayant jamais causé aux siens que le chagrin de le voir aux prises avec une constitution valétudinaire, minée par trop de chagrins. Il appartenait à la Philosophical Society de Philadelphie, et laissait à ses enfans de chaleureux protecteurs parmi les hommes d’élite dont il