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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/85

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enfin aux confidences secrètes d’Alexandre de Humboldt sur la cour de Berlin. Il serait difficile, je l’avoue, de toucher à ces délicates questions, si encore une fois on n’était convaincu que l’auteur du Cosmos n’eût point autorisé la divulgation de ces commérages. À quoi bon faire savoir au monde que Humboldt, comblé de bontés par Frédéric-Guillaume IV, admis dans l’intimité de la famille royale, allait se moquer de ses bienfaiteurs chez un vieux diplomate retraité qui enrageait de ne plus jouer un rôle ? A quoi bon révéler ce qu’on a nommé la hardiesse de ses opinions religieuses, la franchise de ses sentimens politiques ? Nous ne sommes plus libres cependant d’éviter ce sujet : puisque des documens, quels qu’ils soient, sur un homme de ce mérite et de cette renommée ont été communiqués au public, il faut bien les apprécier. Voyons donc chez Alexandre de Humboldt le philosophe religieux et le penseur politique, ou du moins ce qu’en peut montrer la publication de Mlle Assing.

Que Humboldt fût l’ennemi des piétistes de Berlin, je le comprends sans peine. Il était sournoisement attaqué par la Gazette de la Croix, on redoutait son intimité avec le roi, on s’efforçait de le perdre ; il se défendait vigoureusement, quoi de plus naturel ? Il se défendait par sa gloire, par ses travaux ; il se défendait aussi par son sourire sarcastique et sa parole acérée. Dans tout cela, je ne vois absolument rien qui mérite le moindre blâme, qui puisse causer la plus légère surprise. Livrons-lui donc les Stahl et tutti quanti ; mais comment lui pardonner tant de sarcasmes amers, tant de railleries hautaines contre un homme tel que M. le baron de Bunsen, l’un des plus grands esprits de notre époque, âme aussi ardemment libérale que profondément religieuse. M. de Bunsen, je ne crains pas de le dire, est dans l’ordre de la foi et des hautes vérités de l’esprit ce qu’a été Alexandre de Humboldt lui-même dans l’ordre de la science et des vérités naturelles. Il embrasse en ses travaux immenses le cosmos spirituel et moral, comme Humboldt le cosmos physique. Quand on songe à ses recherches sur la civilisation égyptienne, sur la Bible, sur la primitive église, quand on se rappelle cette grande philosophie pratique intitulée Dieu dans l’Histoire, on peut appliquer à ce magnifique ensemble les belles paroles qu’a inspirées à M. Mignet le vaste tableau du monde matériel tracé par le savant berlinois : « C’est une exposition, pleine d’enchaînement et de grandeur, des phénomènes et des lois de l’univers, depuis les plus lointaines nébuleuses jusqu’aux révolutions qui ont présidé à l’organisation actuelle de notre planète… » Donnez à ces expressions un sens figuré, un sens mystique, si je puis parler ainsi, et voyez si elles ne caractérisent point avec une parfaite exactitude l’encyclopédie religieuse de M. de Bunsen. Était-ce donc l’inspiration religieuse elle-même, le sentiment