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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/884

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ennemi. Il avait pris auparavant une part active dans les troubles du Nicaragua comme chef du parti révolutionnaire de Léon, et certaines familles de Grenade ne lui avaient point encore pardonné les exécutions sommaires faites par son ordre dans leurs rangs. Rallié depuis l’élection du général Martinez, dont il avait été un moment le rival, il servait le gouvernement de son pays à sa manière, sans idées fixes, sans principes arrêtés, sans conscience politique bien farouche, subissant encore, peut-être à son insu, les préventions de sa ville natale contre le parti conservateur de Grenade, sentant que son heure n’était pas venue parce que le sang répandu remontait jusqu’à lui, mais gardant intacte son ambition, dont peut-être il eût fait bon marché au besoin. N’aimant pas les Américains, qu’il avait vus de trop près, il leur ressemblait par son froid dédain de la vie humaine. Soldat d’instinct comme tous les Léonais, d’une intrépidité insouciante, c’était un capitaine de coups de main et d’inspirations subites, un révolutionnaire de bruit et de mouvement plutôt que d’opinion, une nature en somme plus originale que sérieuse, trop mobile pour inspirer la confiance, mais trop dangereuse dans ses écarts et trop populaire à Léon pour ne pas mériter des ménage-mens infinis. Les missions que lui a confiées successivement le président Martinez à San-José et à Washington, où il représente encore aujourd’hui le gouvernement du Nicaragua, s’expliquent par cette situation délicate beaucoup plus que par le talent diplomatique du général Jérès.

La question de frontières qui l’amenait à Costa-Rica, au moment où on s’y attendait le moins et où tout était décidé pour le départ du président, pouvait devenir un grave embarras. Controversée déjà depuis trente ans, cette question, dont il apportait un nouveau règlement, avait failli plusieurs fois mettre les armes à la main aux deux républiques, et elle était la cause principale de leur mésintelligence traditionnelle. Le Nicaragua réclamait comme lui appartenant une province située entre le lac, le Pacifique et le golfe de Nicoya, et qui portait autrefois le nom de Guanacaste, qu’elle avait échangé contre celui de Moracia depuis l’avènement au pouvoir de M. Mora. Cette province s’était donnée volontairement à Costa-Rica dès l’année 1824, par cette excellente raison que Costa-Rica jouissait dès lors d’une constitution et d’un gouvernement régulier, tandis que le Nicaragua était encore livré à l’anarchie. L’annexion avait été approuvée par le congrès fédéral siégeant à Guatemala, sous la réserve des frontières à fixer pour chaque état. Puis, comme les révolutions qui sapaient l’édifice de la fédération n’avaient pas permis de fixer ces frontières, le Guanacaste avait passé outre ; ses habitans avaient plusieurs fois solennellement ratifié leur vote d’union, et