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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/895

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Le jour suivant, sur les six heures du soir, au moment où la brise de terre venait remplacer la brise de mer qui s’élève régulièrement à dix heures du matin, nous longions, les pieds dans le sable, la grande rue de la ville, tout ondoyante de drapeaux, toute frémissante encore des agitations de la veille. Une jeune femme, assise devant sa porte, se leva au passage du président et l’invita à entrer, en l’appelant, avec une familiarité gracieuse, don Juanito. Il y avait d’autres personnes, dans la maison, entre autres deux jeunes filles. On apporta des chaises et des guitares. Les femmes s’échelonnèrent sur les marches de l’escalier, et le cercle s’étendit peu à peu. Les vagues toujours murmurantes venaient expirer sur la rive en face de nous. La nuit tombait rapidement, mais une nuit étoilée, presque lumineuse, baignée de phosphorescences et de parfums, et bercée d’harmonies intraduisibles. Une jeune fille se mit à chanter, en s’accompagnant, je ne sais quel air national, mélodie douce et monotone, que j’avais déjà entendue un soir dans une hacienda, et que j’ai retrouvée depuis sur les bords du lac de Nicaragua. Les pas-sans s’arrêtaient pour écouter. D’autres chants avaient succédé au premier ; d’autres femmes étaient venues saluer M. Mora, en l’appelant toutes de son petit nom de Juanito. Il n’y avait plus assez de chaises. M ; Mora profita d’un petit dérangement pour s’asseoir sur la première marche de l’escalier, et le concert de famille continua jusqu’à onze heures, sans plus de cérémonie, dans une atmosphère de cordialité, de modestie et de bonté qui n’étaient égalées que par la simplicité du chef de l’état.

Lorsque le Colombus nous emporta le lendemain vers la haute mer pour doubler le cap Blanco, qui ferme la baie, les mêmes honneurs accompagnèrent le président dans son passage à travers les navires à l’ancre. Le Saint-Vincent-de-Paul et les Deux-Eulalies avaient rempli jusqu’au bout la mission qu’ils s’étaient donnée de représenter dignement la France. C’est la seule fois qu’il m’ait été donné d’apercevoir nos couleurs nationales dans les mers centro-américaines, et je puis dire que la présence et la conduite de nos marins avaient provoqué dans la population des sympathies unanimes.

En entrant dans le Pacifique, je reconnus enfin cette mer d’huile, unie comme une glace, dont nous parlent tous les voyageurs, et qui lui a mérité son nom. Le Colombus semblait immobile dans le sillon de son hélice. Nous longions un rideau de montagnes boisées se succédant comme des dômes d’un vert sombre. Ces montagnes, peu élevées, sont les contre-forts de la presqu’île de Nicoya et du district de Moracia. Elles s’abaissaient sensiblement vers le nord, et disparaissaient même complètement en approchant des deux grandes